La propriété intellectuelle tue !

Pourquoi Aaron Swartz, jeune informaticien de génie de 26 ans et militant de la liberté de tous d’accéder à l’information, est-il mort ?

Christine Tréguier  • 23 janvier 2013
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La propriété intellectuelle tue !

Je l’ai déjà dit et répété ici, au risque d’en énerver certains : l’excès de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de droits d’auteur ou de brevet, nuit gravement. Mais il y a pire : la propriété intellectuelle tue. Le brevet d’invention devient, dans certains cas extrêmes, une arme létale.

Aux mains de Big Pharma, il laisse crever les malades du sida ou de la malaria dans les pays pauvres et laisse courir les pandémies. Il pousse au suicide les paysans indiens, prisonniers des chères chimères modifiées de Monsanto and Co et de leurs intrants. Aujourd’hui, c’est au tour du droit d’auteur de se muer en flingue. Ses balles ont ricoché et tué Aaron Swartz, jeune informaticien de génie de 26 ans, militant de courte vie pour la liberté de tous d’accéder au savoir et à l’information.

La liste de ses actions pour défendre un réseau et un monde ouvert parle d’elle-même. À 14 ans déjà, il contribue à la création du format RSS, des licences Creative Commons, lance Reddit (un site d’information communautaire) et Google Weblog (premier site critique sur Google). Membre du W3C et de Wikipedia, il participe très activement au travail de l’association DemandProgress qui a permis de neutraliser les projets de lois Sopa et Pipa (voir Journées noires sur Internet), soutient les anti-Acta européens et j’en passe.

Ni effraction ni destruction de données

En 2008, il « libère » 20 % de la base de données judiciaire Pacer (qui fait payer les Américains pour accéder à leur propre dossier). En 2010, alors qu’il était au MIT, il télécharge 4,8 millions d’articles sur JSTOR (serveur d’archivage en ligne de publications universitaires et scientifiques). Sur plainte de JSTOR et du MIT, la procureure Carmen Ortiz dégaine la loi punissant le piratage informatique – le Computer Fraud and Abuse Act (CFAA) – pour l’inculper de crime et le menacer de trente-cinq ans de prison. Pourtant, Aaron n’a commis ni effraction ni destruction de données.

« RIP, Aaron Swartz », de Cory Doctorow et autres liens

« Le procureur comme despote », de Lawrence Lessig

-Une vidéo de la conférence d’Aaron Swartz keynote : « How we stopped SOPA »

Un article du Guardian

Il ne s’agit pas de secrets d’État, mais de publications scientifiques – certaines relevant du domaine public – privatisées par JSTOR qui les distille aux bibliothèques universitaires par abonnements thématiques annuels de plusieurs milliers de dollars, sans rien reverser aux auteurs des articles. Comme le souligne le New Yorker , Steve Jobs, Wozniak et autres VIP de l’informatique ont fait pire dans leur jeunesse sans jamais être inquiétés. Au pire, écrit le Guardian , Aaron est coupable « d’intention de violer les conditions d’usage ».

Après son arrestation, il a de plus restitué les données et s’est engagé à ne pas les rendre publiques. Cependant, bien que JSTOR ait retiré sa plainte, l’avocate générale a continué à braquer ses fusils et à intimider ce « dangereux » activiste afin qu’il plaide coupable, moyennant réduction de peine. Comme d’autres embastillent les soldats Manning. Aaron, qui ne cachait pas qu’il était dépressif, n’a pas résisté à ce rôle de cible vivante.

Réforme du système de propriété intellectuelle

Il s’est donné la mort le 11 janvier 2013. Son suicide a secoué l’Internet américain. Partout des témoignages et des hommages à son génie et à son engagement. Une pétition signée par plus 10 000 personnes demande la démission de Carmen Ortiz. Le MIT, dont le site a été piraté quelques heures par les Anonymous, a diligenté une enquête interne pour déterminer sa part de responsabilité dans ce procès caricatural… et le gouvernement a annoncé qu’il laissait tomber les charges contre lui.

Un projet de loi modifiant le CFAA, baptisé « Aaron’s Law », a été déposé au Congrès, une archive quasi complète des documents de JSTOR a ressurgi sur The Pirate Bay. L’étape suivante est d’obtenir la réforme du système de propriété intellectuelle pour laquelle Aaron se battait, avec d’autres, depuis dix ans. Pour que les monopoles sur le savoir cessent de tuer.


« {Tout est copyright. Cette conférence, ce que je dis maintenant, ces mots sont copyrightés et il est si facile, accidentellement, de copier quelque chose…} » Aaron Swartz

Photo : Aaron Swartz le 26 décembre 2006 / Jacob Applebaum via Wikimedia Commons

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Temps de lecture : 4 minutes
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