Étudiant, viens te faire plumer par EADS !

EADS Innovation Works invite les étudiants à élaborer pour lui des algorithmes permettant la « ré-identification de l’humain dans l’image ». Un « super prix » attend les gagnants…

Christine Tréguier  • 24 avril 2013
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Étudiant, viens te faire plumer par EADS !

C’est la crise, les multinationales peinent à payer les gros salaires de leurs PDG et hauts cadres, et chez EADS, comme ailleurs, il n’y a pas de petites économies. La preuve…

Ce qu’explique benoîtement le dénommé Franck Angella dans cette vidéo, c’est que les étudiants thésards et doctorants du monde entier calés en vision assistée par ordinateur, sont invités par EADS Innovation Works à plancher sur le problème (épineux on le sait) de la « ré-identification de l’humain dans l’image ». Autrement dit, comme l’explique Franck, «   lorsqu’on a deux images montrant chacune une personne, pouvoir dire s’il s’agit de la même personne ou pas   » . Ce concours à l’intitulé très symptômatique, « Attrape-moi si tu peux » (en anglais « Find me if you can » ), a été lancé en mars dernier par le département R&D d’EADS dans le cadre de l’opération « Join the Spirit » (tout un programme !), qui «   met au défi les étudiants sur la résolution de systèmes provenant de cas réels en aéronautique et application système   » .

Le défi consiste, pour les gentils étudiants, à proposer leurs algorithmes de calcul qui seront testés en temps réel sur les méga-serveurs de l’un des sept centres de compétences techniques du réseau mondial d’EADS Innovation Works. Mince de chance ! En échange de quoi, certains d’entre eux recevront de « super prix » (sic), à savoir… un Parrot AR Drone 2.0 pour les 20 meilleures équipes, plus un Parrot Zik pour les trois meilleurs, et, enfin, un « incroyable voyage » à Kourou pour assister sur un strapontin VIP au lancement d’Ariane 5. Ce qui s’appelle se faire plumer de la plus belle manière, sous couvert de «   chance unique de laisser sa marque dans le monde scientifique lié à l’industrie   » (sic !) «   de sécuriser les grands événements sportifs   » (re-sic !) et d’une hypothétique « embauche » chez EADS (à 1 657 euros pour un étudiant sans expérience). N’ayons pas peur des mots, avec ce student-sourcing à peau d’balle, EADS fait dans le foutage de gueule monumental.

Car, est-il besoin de le rappeler, European Aeronautic Defence and Space company (EADS) est, comme son nom l’indique, un groupe européen spécialisé dans l’aéronautique et le spatial civil et militaire, aux multiples filiales – Airbus, Astrium, Cassidian, Eurocopter, Arienespace, GDI Simulation, etc. –, qui emploie plus de 133 000 personnes et affichait en 2012 un chiffre d’affaires de 56,5 milliards d’euros et un bénéfice de 1,22 milliard. C’est le très médiatique Arnaud Lagardère qui en assure la présidence. Sa fortune était estimée à 240 millions d’euros en 2012, le plaçant au 170e rang du classement Fortune . Son pote Henri Seydoux, PDG-fondateur de Parrot (détenteur de 35,3 % du capital et accessoirement de 25 % de celui de Christian Louboutin) n’est, lui, que 251e avec 147 millions d’euros déclarés en 2102.

Le concours a été lancé en mars dernier au prestigieux Tata Institute of Fundamental Research (TIFR) de Bangalore (Inde), en présence des deux généreux sponsors Astrium (filiale à 100 % d’EADS) et Parrot donc, start-up française spécialisée dans les outils sans fil et… les Parrot AR-drones. Le précédent concours « Join the Spirit », en 2012, était, lui, doté d’un super-prix de… «   10 000 dollars ainsi que la reconnaissance des scientifiques et chercheurs d’EADS   » (re-re-sic !). Pas le Pérou comparé à ce que gagnent les jeunes codeurs qui savent monnayer leurs « exploits » (ce terme désigne le moyen ou la faille utilisée par un « hacker » pour accéder à un ordinateur, un réseau ou un téléphone sans y être autorisé). Jugez plutôt : certaines sociétés spécialisées vendent aujourd’hui un « exploit » pour Window XP 40, 40 000 dollars. Pour i-Phone 5, c’est 200 000 dollars et, pour Internet Explorer, ça peut aller jusqu’à 500 000 dollars.

Sachant que pondre un algorithme de reconnaissance ou de mapping facial efficient est aussi, voire plus, complexe que trouver une faille de sécurité, et que le marché du drone civil (ou militaire) s’annonce juteux, les généreux PDG d’EADS et de Parrot auraient au moins pu ajouter une paire de Louboutin assorties au drone, pour tous les geeks et geekettes (oui il y en a) sélectionnés. « Viens te faire plumer et gagne des Louboutin 2.0 ! »,  ça aurait eu de la gueule comme campagne marketinge , non ?

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