Longues distances (2) …

… et plumes alertes.

Bernard Langlois  • 24 avril 2013
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Donc, tandis que Jean-Paul Kauffmann marche sans hâte sur les rives d’une rivière (prière de ne pas confondre « rive » et « berge » !) qui selon lui mériterait d’être un fleuve, Pierre Cherruau court [^2], foulée économe du marathonien entraîné, de la capitale africaine à la savane, puis, franchi le fleuve, au désert.

Au bout, Paris, où il retrouvera les siens : son épouse africaine, ses enfants métis — une fillette qui rêve de venger un jour Ségolène Royal, un garçon tendre et rieur qui entraîne son père dans ses jardins secrets, comme autrefois son grand-père trop tôt disparu accompagnait son père.

Car ce livre, on s’en aperçoit vite, est d’abord un bel hommage filial au Pierre Cherruau de ma jeunesse dont le Pierre Cherruau d’aujourd’hui ne fera jamais le deuil. Ce père qui lui a donné le goût de la course à pied (dès qu’il eut douze ans, il l’inscrivait au marathon de Bordeaux, où le fils passa la ligne avant son géniteur …), de la nature, de la lecture, et avec qui se poursuit un dialogue entamé dès l’enfance.

Pour le reste, bien sûr, on voyage.

Dans cette Afrique qu’il connaît bien pour y avoir vécu, travaillé, aimé ; et où il conserve de nombreux points de chute : amis, confrères, connaissances,

Illustration - Longues distances (2) …

autant de bornes et de points d’eau sur le parcours, quand il faut bien suspendre la course, reprendre souffle, soigner les ampoules …

De Dakar, la bourgeoise, la française, jusqu’à Saint-Louis, la coloniale, son pont Faidherbe, son hôtel de la Poste (Guillaumat, Mermoz, Saint Ex …), en passant par Thiès la rebelle, Tivaouane la sainte, Louga la veuve, toutes ces villes grouillantes d’une vie de misère et de débrouille, la côte océane, ses plages et ses palaces pour toubabs ; le long fleuve ensuite avec halte obligée à Richard Toll et l’incongru château du baron Roger : c’est au Sénégal surtout que le livre rend hommage, et à son peuple si divers et que travaille là aussi, de plus en plus, un islam agressif, si étranger pourtant à la bienveillance et la tradition d’hospitalité des Sénégalais … Pendant la traversée de la Mauritanie, où sévissent les preneurs d’otages, coupeurs de routes et autres djihadistes ( «C’est en Mauritanie qu’AQMI recrute le plus …» ), mieux vaut se faire discret quand on est blanc de peau, Français de surcroît …

Les longues foulées du marathonien lui font ensuite traverser le Maroc, où l’on croise les candidats à l’immigration clandestine, au risque de la noyade ; puis l’Espagne, la France enfin, la remontée sur le bordelais de l’enfance, avec visite à la mère très aimée — Marie-Christine la douce au fin museau de biche … —, puis les bords de Loire, Paris enfin …

« Ma femme, ma fille et mon fils m’enlacent. Mes enfants ne sont plus tout à fait les mêmes, ils ont encore changé de visage, d’expressions, de comportement. Ils ne parlent plus tout à fait de la même manière. (…) Qui sait ? Marie renoncera peut-être à sa carrière politique. Marie ne se préoccupera plus de venger Ségolène Royal ; elle se trouvera un itinéraire plus personnel. Qui sait si Marie ne voudra pas elle aussi se lancer sur la route ? Almami ou Marie, je les accompagnerai dans leurs premières escapades avant de les laisser tracer leur propre sillon (…)

«Si je peux juste leur transmettre ce goût de liberté, ma course n’aura pas été vaine.»

Cher Pierre, bon sang ne saurait mentir.

[^2]: Pierre Cherruau, De Dakar à Paris, un voyage à petites foulées , Calmann-Lévy, 326 p., 18,50 €.

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Temps de lecture : 3 minutes
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