A propos de quelques confusions sur l’ESS

L’Associatif qui présente comme « le média des acteurs associatifs » publie dans sa dernière lettre électronique un très discutable et donc très intéressant éditorial de Cédric Bonnot, son directeur de la publication. Son intérêt vient de ce qu’il témoigne des confusions qui marquent encore l’Economie, sociale et solidaire (jusqu’à remettre en cause son concept même) et que la trop longue période de gestation du projet de Loi sur l’ESS que doit présenter Benoît Hamon au Conseil des Ministres dans les prochaines semaines semble avoir laissé se développer.

Jean-Philippe Milesy  • 21 mai 2013
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Quel est le point de vue de Cédric Bonnot ? En fait qu’il n’est d’ESS que d’associations.
_ Qu’écrit-il en s’en étonnant ? « C’est ainsi que l’avant-projet de loi du l’ESS promet qu’une mutuelle, qu’une banque coopérative sera reconnue comme une entreprise sociale et solidaire. »
_ Bien évidemment, Monsieur Bonnot, depuis toujours les coopératives, fussent-elles des banques, et les mutuelles, fussent-elles d’assurance, sont dans le périmètre naturel de l’Economie sociale, et si des interrogations sont soulevées sur certaines structures, c’est en raison de leurs pratiques et non de leur nature.
_ Et l’éditorialiste poursuit en dénonçant « lucrativité », financements privés, présence sur le marché, et rejetant celles des associations qui « en mutant [s’orientent] vers le statut de Scop ou de Scic. ».
Mais hélas il n’est pas seul et certaines personnalités, voir groupements associatifs pour tout ou partie semblent partager ces positions.

Cela révèle que profondément le concept d’Economie sociale et solidaire sous sa forme d’agrégat entre associations, coopératives et mutuelles, relancé dans al fin des années 70 notamment par Henri Desroche, n’a pas, tant s’en faut, totalement pris.
_ Ainsi à en croire Cédric Bonnot, il y aurait les bons, les associatifs en fait, sans pollution entrepreneuriale, et financés par les fonds publics ou la philanthropie. Et puis les autres, moins bons, ceux qui œuvrent dans l’ « économique », sur le marché, vendent biens et services.

Cela signifierait que tout le travail conduit dans les dernières années sur la reconnaissance d’une ESS qui ne serait pas une économie du social, de la réparation mais comme une autre façon d’entreprendre, une autre économie, alternative au modèle unique capitaliste et libéral, n’a pas touché une bonne partie d’un monde associatif se considérant différent, dans ses rapports à la société.

Face à un désengagement public profond, face à l’irruption d’entreprises commerciales dans les champs du « social solvable », il existe heureusement des réflexions, comme celles que conduit la FONDA, sur l’ensemble des stratégies associatives. Les scénarii de la FONDA, tels qu’ils ont été présentés par Yannick Blanc, à l’occasion de l’Assemblée générale du CEGES témoignent des évolutions et de la complexité auxquelles sont confrontés les associations.
_ Les procédures de la commande publique se fondent aujourd’hui essentiellement sur des marchés ; et rien dans les politiques actuelles, ne laisse envisager une évolution profonde des pouvoirs publics sur cette question, même si la Modernisation des Administrations Publiques (MAP) marque quelques inflexions sur la RGPP.

Dénoncer les marchés publics, même si l’on peut convenir de leur aspect libéral, et ne fonder le développement associatif que sur les seules subventions, relève d’une certaine nostalgie des « jours heureux » et peut conduire à une impasse.
_ Ce n’est pas que nous ne regardons pas nous aussi avec nostalgie les jours du programme du CNR et que nous ne pensons pas qu’il faudrait revenir à ses valeurs.
_ Mais nous ne pouvons pas ignorer que les forces sociales et politiques qui portèrent ce Programme, leur alliance même n’existe pas. Nous ne pouvons pas ne pas considérer la « Révolution libérale » des Thatcher et Friedman, des Reagan et Hayek, et leurs prolongements dans l’Europe de Barroso et la France de Sarkozy.

Beaucoup est à reconstruire. Des batailles sont à mener et par exemple sur la commande publique, par une réforme en profondeur du Code des marchés publics en les fondant réellement sur la qualité, les conditions sociales et environnementales…
_ C’est aussi un fondement de notre engagement pour une Economie sociale alternative, émancipatrice.
_ Pour cela, elle doit faire valoir ses capacités à être une économie nouvelle, démocratique, porteuse d’égalité, et de solidarité mais aussi de réussite sur le marché, de développement territorial, de gestion différente de certains services publics. Et pas seulement, une « béquille du capitalisme » pour reprendre l’expression de Thierry Jeantet. Et pas seulement une économie du social et de la réparation rôle auquel semble la confiner l’éditorial de l’Associatif.

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