Ensemble contre le chômage

Comment mener la lutte contre le chômage ? Le sociologue et économiste Jean-Louis Laville estime que l’économie sociale et solidaire ne peut être vue comme un sous secteur réparateur du capitalisme dominant. Pour lui, derrière la création d’emplois se profile la question plus fondamentale des rapports entre État, marché et société civile.

Politis  • 22 mai 2013
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Un accord semble se dégager pour mettre la lutte contre le chômage au premier plan des priorités gouvernementales. Dans ce domaine, le problème n’est pas que tout a déjà été tenté mais bien au contraire que les solutions envisagées aujourd’hui restent inadaptées, parce qu’elles ne prennent pas assez en compte les mutations économiques en cours. Ainsi l’accent mis sur la politique industrielle se comprend par l’importance stratégique des activités considérées, mais il oublie un fait majeur : 75,5% de l’emploi salarié est dans les services et seulement 14% dans l’industrie. De plus, les services en plein essor sont des services relationnels à productivité stagnante qui impliquent une baisse tendancielle du taux de croissance.

Jean-Louis Laville est professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Il a récemment publié : « Politique de l’association » (Seuil), « L’association, sociologie et économie » (Fayard/Pluriel) et «Socioéconomie et démocratie, l’actualité de Karl Polanyi» (Érès).
Au lieu de tourner les yeux vers une illusoire croissance retrouvée, il est donc indispensable de regarder en face les difficultés actuelles et les solutions concrètes bien loin des discours officiels. L’un des symptômes de l’échec des politiques menées, réside en effet dans la montée de l’économie informelle devenue pour beaucoup un complément indispensable de l’économie formelle. Cette économie souterraine est hétérogène, elle comprend des emplois non déclarés, nombreux dans le bâtiment ou l’hôtellerie-restauration, des travaux d’autoproduction non rémunérés comme des trafics divers fort rémunérateurs.

Mais il n’y a pas que survie, débrouille et délits. Une révolution invisible est en marche partout dans le monde avec l’émergence, à partir de ces réseaux informels, d’un associationnisme civique qui témoigne de l’engagement dans une politique de la vie quotidienne pour changer les manières de produire, de consommer, d’épargner… C’est largement le champ de ce qu’on appelle l’économie sociale et solidaire à laquelle les Nations Unies viennent de consacrer une première rencontre mondiale. Elle ne doit toutefois pas être regardée avec les lunettes d’hier.

Certes dans son histoire, elle a valorisé les mutuelles et coopératives qui gardent une pertinence, ne serait-ce qu’avec les reprises d’entreprises en coopératives par leurs salariés qui doivent être facilitées ; néanmoins la principale force de l’économie sociale et solidaire est désormais dans la dynamique associationniste. Derrière la création d’emplois dans les associations, plus importante que dans les entreprises privées pour la première décennie du XXIe siècle, se profile la question plus fondamentale des rapports entre État, marché et société civile. Alors que les débats ont été longtemps obnubilés par les relations entre État et marché, se profile un enjeu majeur : l’arrimage des initiatives citoyennes et des politiques publiques pour augmenter le nombre d’emplois dans des activités utiles pour les territoires et leurs habitants.

C’est par ce biais que la lutte contre le chômage peut être reliée à la transition sociale et écologique décisive pour lutter contre les inégalités et pour protéger l’environnement. Il y a près de vingt ans déjà, l’Union européenne avait mené des études concluant à un gain potentiel de trois millions d’emplois si une relance était axée sur ces initiatives locales pour un coût inférieur à une relance plus classique. L’intégrisme de marché a ensuite empêché de concrétiser cette perspective à l’échelle européenne. Cependant des expériences régionales et nationales ont été menées dans divers continents, elles permettent d’envisager les leviers pertinents au niveau des politiques publiques : soutien national à l’innovation sociale et création de fonds territoriaux, aide à l’investissement immatériel, structuration de réseaux, orientation des commandes publiques,…

Dans cette logique d’un nouveau modèle économique, certains outils comme les emplois d’avenir sont à renforcer, non pas en les ouvrant au secteur lucratif mais en donnant plus de moyens aux associations. Si la préoccupation des moins qualifiés est légitime, l’accessibilité et le périmètre de ce programme est à élargir pour qu’il participe véritablement à la transition visée. La création d’emplois peut devenir une cause nationale et populaire si elle reconnait pleinement la multiplicité des initiatives locales, privilégiant les activités dotées d’un sens collectif et construisant une société plus solidaire, entre groupes sociaux et entre générations. Il s’agit d’inscrire la politique de l’emploi dans une politique de civilisation qui remplace l’objectif de croissance sans fin par celui du bien-vivre dans un monde fini.

De toutes façons, dans le cas où l’orthodoxie économique continuerait à dicter sa loi, ce n’est pas la sortie de crise qui s’annonce mais la remise en cause de la démocratie. Comme la philanthropie allant de pair avec l’extrême concentration des richesses n’est pas susceptible de réduire les tensions qui s’exacerbent, la violence est à redouter. Autrement dit la lutte contre le chômage n’est pas une question technique ou morale, c’est une question politique. L’économie sociale et solidaire pour sa part n’est pas un secteur résiduel. Sa place particulière tient au constat suivant : si elle n’est pas encouragée fortement par les pouvoirs publics, c’est l’économie mafieuse qui va s’imposer dans les quartiers urbains comme les espaces ruraux.

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