Monsieur l’Premier ministre, je vous fais une lettre…

Christine Tréguier  • 28 mai 2014
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Monsieur l’Premier ministre, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être si vous avez le temps… Ainsi aurait pu commencer la lettre ouverte rédigée au nom des élèves et des enseignants mobilisés par Clara Dadole, élève au lycée Jean-Monnet de Saint-Étienne. Son propos : soutenir cinq lycéens et collégiens visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Leur seule faute : avoir 18 ans, âge fatidique qui vaut à ces jeunes de devenir instantanément expulsables et être albanais ou congolais. Fatos, Rahman, Mirush, Djimi et Pedro sont arrivés entre 2011 et 2013 ; ils ont été pris en charge par le foyer Habitats jeunes Clairvivre de Saint-Étienne, ont appris le français en un temps record et poursuivent des études qui s’annoncent, pour certains d’entre eux, brillantes. Amis et professeurs en témoignent, ils sont des exemples, parmi beaucoup d’autres, de jeunes « intégrés » selon les normes de la République. Clara rappelle donc poliment le Premier ministre à sa déclaration de politique générale du 8 avril dernier. Devant l’Assemblée et la France entière, il a dit à propos de la jeunesse des quartiers populaires : «  Souvent ces jeunes voudraient, mieux encore, aimer la France et être aimés d’elle. Je veux aussi dire à ces talents qui pensent que la France ne leur fait pas de place, que la France a besoin d’eux.  »

Illustration - Monsieur l’Premier ministre, je vous fais une lettre...

Mais la France a du oublier… La mécanique kafkaïenne et sans âme des circulaires, et l’OQTF s’est mise en marche en septembre 2013 et rien ne l’a stoppée jusqu’ici. Elle frappe également trois jeunes Kosovars, dont deux mineurs de 13 et 16 ans scolarisés au collège Jean-Dasté. Ils ont été arrêtés au petit matin du 9 avril et embarqués avec leur mère au centre de rétention, provoquant un arrêt immédiat des cours par les 19 enseignants du collège. Ils sont depuis rentrés chez eux mais restent sous la menace d’une expulsion, et une bonne dizaine de familles dont les enfants étudient au même collège, ont, eux aussi, la peur au ventre.

RESF (Réseau éducation sans frontières) Loire s’est mobilisé, étudiants et enseignants pétitionnent et manifestent depuis le début de l’année, le recours gracieux auprès du ministre de l’Intérieur, le même Manuel Valls, a échoué. Le tribunal administratif de Lyon a rejeté l’un après l’autre des recours pourtant argumentés. Un appel est en cours, mais il est non suspensif. La préfète de la Loire, Fabienne Buccio, a reçu le comité de soutien, mais n’a rien proposé de concret. Après deux manifestations, le 17 avril et le 15 mai, qui ont rassemblé jusqu’à 800 lycéens et collégiens stéphanois, elle a fait une bien étrange « proposition ». Comme l’a expliqué son directeur de cabinet dans le Progrès , elle s’engage à accompagner les demandes de visas (étudiants)… mais celles-ci doivent venir de leur pays d’origine. En d’autres termes, les jeunes sortent d’abord du territoire et on les aidera… après. Et puis, a-t-il ajouté : «  Il ne faut pas faire rêver ces jeunes : qu’ils soient de bons élèves, c’est bien, mais leur situation n’a rien qui permette de justifier une régulation . » Voilà de quoi motiver tous les jeunes candidats à l’intégration auxquels s’adressait le Premier ministre !

En attendant ce visa auquel ils ont toute légitimité de prétendre, les cinq lycéens, qui sont expulsables et désormais majeurs, n’ont plus droit à la prise en charge de l’aide sociale à l’enfance. Plus de foyer donc, et c’est REVE (rester, étudier, vivre ensemble), une association créée le mois dernier à l’initiative de l’ancien CPE du lycée, qui les soutient. Et tous, enfants, jeunes, parents, s’endorment chaque soir en se disant que l’avion du retour est peut-être pour le lendemain matin.

Au premier serviteur de l’État, quelque peu oublieux de sa propre histoire, à celui qui a conclu son discours par un vibrant «   ne rétrécissons pas la France, ne rétrécissons pas ses rêves   » , Clara demande de ne pas rétrécir les rêves d’avenir de ces jeunes. Ils sont, certes, socialement moins nantis que le jeune Manuel Carlos Valls nationalisé français en 1982, mais ils n’aspirent, comme lui, qu’à se construire une vie ici. Sans doute Clara aurait-elle pu également rappeler madame la préfète à ses « racines modestes » et au parcours qui l’a menée d’un IUT de province à l’École de l’administration pour devenir directrice de préfecture à 32 ans. Est-ce l’influence de son supérieur Claude Guéant et de la politique migratoire sarkozyste, il est vrai poursuivie par Valls, qui l’empêche d’analyser clairement une situation humaine ? Ou n’est-ce finalement qu’un réflexe de classe, qui fait qu’aux yeux des haut placés de l’État, certaines et certains sont moins égaux que d’autres lorsqu’il s’agit d’ascension sociale ?

{{Sur le Web :}}

La lettre ouverte au Premier ministre[http://www.educationsansfrontieres.org/article50476.html->http://www.educationsansfrontieres.org/article50476.html]

L’article du Progrès[http://stockinfos.over-blog.com/2014/05/les-lyceens-contre-les-expulsions.html->http://stockinfos.over-blog.com/2014/05/les-lyceens-contre-les-expulsions.html]

Un article de Bastamag[http://www.educationsansfrontieres.org/article49814.html?id_rubrique=152->http://www.educationsansfrontieres.org/article49814.html?id_rubrique=152]

Un entretien de Fabienne Busco avec le magazine EspriIUT[http://www.espriut.fr/index.php/lire-ils-ont-fait-un-iut/items/de-liut-a-lelysee-fabienne-buccio-prefete-de-leure.html->http://www.espriut.fr/index.php/lire-ils-ont-fait-un-iut/items/de-liut-a-lelysee-fabienne-buccio-prefete-de-leure.html]

Photo : Claude Essertel

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