Dissoudre les ombres de Knysna: mode d’emploi

Patrick Piro  • 20 juin 2014
Partager :

Illustration - Dissoudre les ombres de Knysna: mode d'emploi

Le public, averti ou non, perçoit aisément combien le grand cirque du foot est terrain de gigantesques intérêts économiques, où le salaire (mensuel) des soutiers dorés des pelouses a pour unité de compte le million d’euro.
La dimension psychologique du business n’en est pas moins importante. C’est que c’est fragile de la sphère émotionnelle, ces écuries sportives, scrutées par des millions (de spectateurs), pour le moindre sparadrap sur un bobo.
Sur ce plan, l’équipe de France est en pleine reconstruction, et les médias, armée de psy’ à clavier, y contribuent avec complaisance. Pensez : « on » a battu le Honduras ! Probablement l’équipe la plus faible du plateau du Mondial brésilien. Mais bon, ça n’était pas arrivé depuis 1998 « qu’on » démarre aussi bien une coupe du monde, ça se fête. La fin du déclin français, de la sinistrose hexagonale ?

Dans l’opération « regain moral » , des spécialistes s’affairent, avec leur techniques de com’ : il faut incarner cette reconquête. Cadeau, un gars s’est mis en évidence, sur lequel on comptait depuis longtemps mais qui tardait à répondre présent : Benzema, qui re-marque des buts. Les fleurs pleuvent, les propositions de tunique aussi : il serait un peu le Zidane du moment, non ? (Pas un Ribéry de secours en revanche, un peu trop mauvais garçon de service).

Car derrière les Bleus flotte toujours l’ombre mauvaise de Knysna, leur villégiature sud-africaine lors de la Coupe de 2010, théâtre de la mutinerie de toute une équipe entrée en grève contre le sélectionneur Raymond Domenech. Le souvenir du fiasco plane, les Bleus, en capilotade, n’avaient même pas atteint le cap des huitièmes de finale.
Des journalistes facétieux harcèlent encore Patrice Evra, qui a joué un rôle central dans la cabale. Aurait joué, car le capitaine d’alors diffuse opportunément, pour la première fois, sa relecture de l’histoire, expliquant qu’il a au contraire tenter de dissuader ses camarades de boycotter le dernier match de l’équipe. Adidas tente aussi à sa manière solder un épisode où son image s’est fâcheusement trouvée associée. Le sponsor des Bleus a cru décisif de faire fabriquer une réplique du bus maudit pour l’écrabouiller illico, peinture à peine sèche, avec un engin de chantier, fin mai devant la presse ravie. « C’est le symbole fort d’un boulet qui empêche l’équipe de France d’aborder sereinement la Coupe du monde au Brésil », justifie l’équipementier fétichiste.

Plus fort encore, Domenech, qui se surprend désolé d’une responsabilité des Bleus dans la crise en Ukraine : d’avoir barré la route du Mondial aux petits gars de Kiev, ça aurait cristallisé le désespoir du peuple et précipité les affrontements séparatistes. La nation remercie secrètement Domenech, qui contribue efficacement à faire apparaître le bien moins créatif Didier Deschamps, actuel mentor des Bleus, à mille lieues de lui infliger un remake de Knysnya.

piqué sur un tweet : Didier Deschamps en Christ rédempteur

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don