La Coupe est déjà pleine

Au Brésil, les mouvements de contestation n’entendent pas faiblir alors que s’ouvre le Mondial 2014 de football. En France, quatorze organisations appellent à la solidarité.

Patrick Piro  • 12 juin 2014
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« Tu remplaces Ribéry ? », taquine un militant. « C’est le seul moyen qu’on gagne… » , réplique Olivier Besancenot. Principale figure du NPA, il est venu, mardi dernier, soutenir les camarades brésiliens qui ont bloqué la ville de São Paulo ces derniers jours par leur grève du métro. Chaos. Le mouvement a été interrompu hier, alors que la répression s’est montrée impitoyable : ce soir, la capitale économique du pays accueille Brésil-Croatie, le match d’ouverture de la Coupe du monde de football, dans une nation qui se revendique patrie de cœur du ballon rond, et qui ne l’a organisée qu’une seule fois auparavant, en 1950. La Seleção avait été battue 2-1 en finale par l’Uruguay, drame national et profond traumatisme, au point que certains Brésiliens rêvent d’une nouvelle finale entre ces deux protagonistes, le 13 juillet, pour la gagner et cautériser définitivement cette plaie. La Coupe leur serait alors pleine.

Illustration - La Coupe est déjà pleine


Pour d’autres, elle l’est déjà  : il y a un an, les rues flambaient dans des dizaines de grandes villes du pays, prises d’assaut par des mouvements spontanés de protestation contre la vie de plus en plus chère (jusqu’à deux millions de personnes), alors que l’organisation de la Coupe a englouti plus de 8 milliards de réais (environ 2,7 milliards d’euros). Des protagonistes fiers de présenter du peuple brésilien une autre image que l’icône jaunie d’insouciants dévots du ballon rond à l’heure où la planète a les yeux rivés sur « leur » Mundial.
« Les mobilisations de rue se sont amenuisées mais pas la colère, on le voit avec les grèves menées depuis des mois dans les universités, les transports, la construction, les écoles, le nettoyage urbain et même la police , témoigne Dirceu Travesso. Le mal est profond, et la contestation ne va pas disparaître avec les matchs. » Secrétaire national du syndicat CSP Conlutas, il dénonce « de nouvelles manières d’extorquer de l’argent au peuple » , avec la Fédération internationale de football association (Fifa), honnie par les protestataires, qui attendrait 10 milliards de dollars de retombées financières de l’événement, dont elle est propriétaire. Les sponsors comptent aussi faire la culbute, comme Adidas qui évalue à deux milliards de dollars les sommes qui seront mises en mouvement à son profit. « Brazuca », le petit nom du ballon de la Coupe, est en vente pour 400 réais, 60 % du salaire mensuel minimum local, « et deux fois celui des travailleurs indonésiens qui l’ont confectionné ! » , relève Dirceu Travesso.

Appelé à d’autres joutes , Olivier Besancenot quittera de la conférence de presse avant le coup de sifflet final. Les représentants de 14 organisations y présentaient leur campagne « La Coupe est pleine ! », pour marquer leur solidarité avec la mouvance brésilienne devant les outrances de la manifestation : dépenses somptuaires sous les yeux des favelados miséreux, déplacement de près d’un million de personnes pour les travaux d’infrastructure, mesures spéciales « anti-terroristes », envol de la prostitution mafieuse pour satisfaire la demande touristique, creusement de la dette, répression –  « l’armée est dans la rue pour frapper, exactement cinquante ans après le coup d’État militaire de 1964 ! » , souligne Dirceu Travesso.

Ce soir, à 18 h , appel à un rassemblement devant l’ambassade du Brésil à Paris, et le 23 juin à 19 h, réunion publique à la Bourse du travail de Paris. Les animateurs de La Coupe est pleine appellent-ils les Français à « boycotter » les matchs ? « Ce n’est pas l’objet de notre campagne » , répondent-ils prudemment. Les mesures d’audiences TV, pour le match de ce soir à l’Arena Corinthians de São Paulo, devraient leur donner raison de ne pas s’être risqués sur ce terrain-là…

illustration : cette affiche, peinte par le graffeur brésilien Paulo Ito sur la porte d’une école de São Paulo, connaît un franc succès dans le pays et au-delà.

Temps de lecture : 3 minutes
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