Chute de l’empire néolibéral : la salut ne viendra pas des urnes

L’effondrement du système occidental néolibéral a commencé en janvier 2008. Depuis, rien, absolument rien en six ans n’a pu arrêter sa chute. Aujourd’hui, ses grands-prêtres sont contraints d’admettre que le retour sur terre, dès septembre prochain, sera « difficile », avec « risque de déflation » à la clé (Manuel Valls, 1er août 2014).

Le Yéti  • 18 août 2014
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Chute de l’empire néolibéral : la salut ne viendra pas des urnes


Manuel Valls annonce une « rentrée difficile »

Que des gouvernants qui, depuis six ans, nous répètent en boucle que « la crise est derrière nous », qu’ils vont promptement enrayer telle courbe fatale (celle du chômage, par exemple), en viennent eux-mêmes à annoncer maintenant des horizons très sombres à court terme, en dit aussi long sur l’état calamiteux du malade que sur leur impuissance à le guérir.

La dure réalité des chiffres

Et les chiffres, ces fameux chiffres dont on nous inonde pour tenter d’apaiser nos craintes ou susciter notre adhésion, ne parviennent plus à masquer l’étendue des dégâts et la gravité du désastre.

Au second trimestre (T2), avec une croissance annoncée nulle, la France a confirmé son état persistant de stagnation (traduisez « récession », car toutes les premières estimations en la matière sont TOUJOURS revues à la baisse).

Pas mieux, toujours au T2, pour le « modèle » allemand (-0,2 %), pour l’Italie (-0,2 %, après -1 % au T1), pour le Japon (-1,7 %). Quant aux États-Unis, passés maîtres dans le maquillage des statistiques, ils ne pourront dissimuler longtemps que leur croissance patine à moins de 1% à fin juin[^2].

Pas mieux non plus du côté de la finance dont seuls les naïfs pensent encore qu’elle tire avantage juteux de la crise. Demandez donc au Crédit agricole qui vient de lâcher 3,57 milliards d’euros dans le crash de la banque portugaise Espirito Santo, énième naufrage d’une banque d’importance depuis Lehman Brothers (USA) et après Dexia (franco-belge), Bank of Cyprus et Laïki (Chypre), Monte dei Paschi (Italie), Hypo Alpe Adria (Autriche)…

Les emplâtres pour tenter de ralentir l’hécatombe systémique à grands coups de planches à billets des banques centrales ou de politiques d’austérité imbéciles ont fait long feu. Leur seul piètre résultat est d’avoir prolongé artificiellement l’agonie du système moribond. Le flot des nouveaux chômeurs et des précaires continue, lui, de s’écouler à gros bouillon, tant en Europe qu’aux États-Unis malgré, là encore, de grossiers subterfuges statistiques (exemple : les radiations massives des listes de demandeurs d’emploi).

Des portes de sortie très incertaines

Il est grand temps aujourd’hui de prendre conscience d’une débâcle qui est à la fois financière, économique, mais aussi politique, géopolitique, sociale, morale… Il est indispensable d’envisager dès à présent toutes les portes de sorties, toutes les planches de salut vers le monde d’après.

Celles-ci ne sont pas vraiment réjouissantes. D’autant que ce changement de civilisation ne se fera pas par rafistolage du modèle précédent, mais par la mise hors d’état de nuire de ses éléments prédateurs (la finance privée, par exemple).

Il est illusoire d’attendre un changement de cap des autorités politiques corrompues en place . Dans nos démocraties privatisées par les lobbies, où la politique tient du plan de carrière, les élus sont clairement missionnés pour défendre les intérêts de leurs sponsors plutôt que l’intérêt général. Le cas Hollande, cet « ennemi de la finance » qui en est le plus fervent défenseur, est symptomatique à cet égard.

L’illusion démocratique

Peu crédible, hélas, l’espoir d’un salut sorti des urnes. La démocratie résiste rarement aux tempêtes.

-* Les appareils politiques d’État sont parfaitement verrouillés par les tenants de l’ordre établi , avec l’aide complaisante des médias et des milieux financiers.

-* En période de fortes crises, l’opinion publique est toujours majoritairement plus encline à la régression qu’à la révolution . Surtout dans des pays riches n’ayant pas encore fait leur deuil de leur prospérité passée, ni celui de leurs illusions à la voir se perpétuer.

-* Les maîtres de l’empire décadent ne laisseront jamais s’installer un pouvoir alternatif sorti des urnes au sein de leur zone d’influence sans réagir . Ou bien ils exerceront une pression terrible sur les nouveaux gouvernants pour les rallier, ou bien ils les marginaliseront et même, les tueront[^3].

-* Aucune force politique alternative des différents pays ne permet en l’état d’envisager l’avènement d’un contre-pouvoir suffisamment solide . Pas tous les jours qu’on trouve une personnalité comme De Gaulle ou Gorbatchev (encore qu’aucun des deux n’obtint son pouvoir par les urnes ; la Ve République française est d’abord née d’un coup d’État mené en 1958 par l’ex-chef de la France libre). Syriza en Grèce ? Attendons de voir.

De la nécessité d’un engagement politique

Dans un contexte aussi pourri, il est fort probable que l’avènement du monde d’après n’interviendra qu’après l’effondrement total du système failli :

-* soit, tout seul comme un grand, sous le poids de ses propres excès, « à la soviétique » ;

-* soit avec un petit coup de pouce des BRICS[^4], ou précipité par des calamités climatiques, des crises énergétiques aiguës, des soulèvements sociaux ;

-* soit en passant par les affres d’une guerre déclenchée par des maîtres du monde devenus fous furieux.

« Les civilisations ne meurent pas assassinées, elles se suicident » (Arnold J. Toynbee, philosophe, cité par Paul Jorion).

Il peut sembler paradoxal, après ce constat à charge contre l’impuissance démocratique, d’appeler à un engagement politique résolu de la part des citoyens responsables. Celui-ci est pourtant primordial, vital si l’on veut être prêts à influer sur ce que sera le monde d’après.

Car si aucune solution n’est à attendre de majorités égarées, le monde d’après, comme à peu près chaque fois dans l’Histoire, sera très vraisemblablement construit sur les ruines de l’empire déchu par des minorités agissantes et pensantes . En être est un devoir.

[^2]: Contrairement aux pays européens, les États-Unis annoncent une estimation annualisée et non trimestrielle de leur croissance. Ainsi, au T2, a été indiquée une croissance américaine annualisée de 4 %. En réalité, la croissance trimestrielle n’a été que de 1 %, après un résultat négatif au T1, mais les autorités estiment que cette reprise est acquise pour les trimestres suivants !

[^3]: Sur les méthodes utilisées par l’EDM (l’Empire qui dévora le monde), lire cette excellente tribune du journaliste américain William Blum : « La Deuxième Guerre froide ».

[^4]: « BRICS : le camouflet des pays émergents à l’hégémonie américaine », sur Politis.

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