Google juge et arbitre de nos vies numériques

Le 25 septembre, Google faisait connaître ses modalités d’application du « droit à l’oubli ».

Christine Tréguier  • 8 octobre 2014
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Google juge et arbitre de nos vies numériques

Illustration - Google juge et arbitre de nos vies numériques

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Le communiqué de la QDN[https://www.laquadrature.net/fr/droit-a-loubli-ni-google-ni-la-cnil-ne-sont-legitimes->https://www.laquadrature.net/fr/droit-a-loubli-ni-google-ni-la-cnil-ne-sont-legitimes]

Les recommandations de la QDN et de RSF https://www.laquadrature.net/fr/recommandations-sur-le-droit-a-l-oubli-par-la-quadrature-du-net-et-reporters-sans-frontieres (en PDF : [https://www.laquadrature.net/files/Recommendations_Google_LQDN_RSF.pdf->https://www.laquadrature.net/files/Recommendations_Google_LQDN_RSF.pdf])

L’article du {Figaro} sur le droit à l’oubli[http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/09/25/01007-20140925ARTFIG00004-j-ai-teste-mon-droit-a-l-oubli-sur-google.php->http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/09/25/01007-20140925ARTFIG00004-j-ai-teste-mon-droit-a-l-oubli-sur-google.php]

Axelle Lemaire lance sa consultation publiquehttp://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/10/04/numerique-le-gouvernement-vous-demande-votre-avis_4500674_4408996.html

Le 25 septembre, lors d’une réunion publique organisée dans ses locaux du XVe arrondissement parisien, Google faisait connaître ses modalités d’application du droit au déréférencement. Plus communément connu sous le nom de « droit à l’oubli », imposé par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 13 mai dernier. Cette décision fait suite à une plainte déposée il y a seize ans par un internaute espagnol afin de faire supprimer une page mentionnant une saisie immobilière pour dette. Elle accorde à tout un chacun le droit de demander l’effacement de données personnelles « inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes » le concernant et nuisant à ses intérêts professionnels ou privés. La CJUE a cependant laissé de telles marges d’interprétation que son application crée au moins autant de problèmes qu’elle n’en résout. Internautes et experts se sont essayés à l’exercice, en utilisant le formulaire ad hoc mis en ligne par Google deux semaines plus tard.

Sans forcément obtenir satisfaction, comme le raconte Lucie Ronfaut, journaliste au Figaro et spécialiste du sujet. En tapant son nom dans la barre de recherche de Google, elle constate qu’apparaît assez vite une page publiée par un internaute anonyme. «  Fâché par l’un de mes articles à propos des relations entre Vladimir Poutine et le réseau social russe VKontakte, il m’y accuse d’être une “russophobe pathologique ”. Sur son site, ma photo figure aux côtés d’images pornographiques et de propos homophobes » , explique la journaliste. Le 26 juillet, elle transmet donc une requête argumentée à Google, non sans avoir galéré pour dénicher le formulaire « au fin fond des règles de confidentialité de mon compte Google + » . Le 19 septembre, on lui fait savoir qu’ « il semble que l’URL mise en cause se rapporte à des questions qui présentent un intérêt particulier pour le public concernant votre vie professionnelle » . Et on l’invite à se tourner vers la CNIL, qui reçoit elle aussi les plaintes en cas de litige. Mais, là encore, pas de miracle, il faut attendre car l’autorité prévoit de se réunir avec ses collègues européens pour définir des règles communes. « Les critères d’exercice du droit à l’oubli peuvent être différents d’un pays à l’autre, par exemple sur la notion de personnalité publique. Nous voulons que les critères de décision soient clairs. Il y a un travail de ciselage à faire » , explique la présidente de la CNIL, Isabelle Falque-Pierrotin. Elle évoque une liste de critères, à venir courant octobre, et la nomination d’un référent pour les questions de droit à l’oubli au sein de chaque autorité. L’oubli espéré par les 60 premiers plaignants n’est pas pour demain.

Depuis la mise en place du dispositif, Google aurait reçu plus de 135 000 demandes, concernant plus de 470 000 liens. Elles proviennent de professionnels mais aussi d’internautes qui souhaitent supprimer des pages ou des blogs… qu’ils ont eux-mêmes créés, ou faire disparaître leurs profils dans les réseaux sociaux. Quoi de plus légitime ! Mais tel Saint Louis sous son chêne, Google entend bien juger et trancher selon des critères flous et ne pas s’embarrasser davantage. Et ce n’est pas la CNIL qui va l’en dissuader. L’autorité parle d’ « habileté et de malice pour entretenir la confusion et discréditer ce droit à l’oubli » , elle souhaite éviter d’ « ouvrir le front des menaces de censure » .Pour la Quadrature du Net et Reporters sans frontières, ni l’un ni l’autre ne sont légitimes pour définir l’application de ce droit. D’autant qu’on est là sur deux terrains minés : celui de la vie privée et celui de la liberté d’expression. « Une société privée n’a pas vocation à édicter des recommandations sur l’application d’une décision de justice » , affirment les deux organisations. Elles publient leurs recommandations à destination des pouvoirs publics et du législateur, seuls en mesure d’en déterminer le champ.

Et il n’y a pas qu’en matière de déréférencement que la société de Redmond se mêle de façon un peu inquiétante de la chose publique. On retrouve son nom associé, en octobre toujours, à l’étude réalisée par Cap Digital et Roland Berger : « Du rattrapage à la transformation, l’aventure numérique, une chance pour la France ». Commandité et présenté au ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, ce document recense les faiblesses de l’intégration du numérique par les entreprises françaises, et propose bien des pistes pour leur développement futur. Comme dans autres études préalables, la France est bien notée en ce qui concerne l’usage du numérique par les particuliers, mais à la traîne côté entreprises. Heureusement qu’elle n’est pas notée sur la réalité du numérique dans les administrations, car elle aurait fini en queue de peloton. Mais, sur ce sujet comme sur les autres, notre secrétaire d’État en charge du numérique, Axelle Lemaire, n’a qu’à se fier à ses amis Google, Cap Digital et autres think tanks d’entreprises. Ils sauront habilement la conseiller pour parvenir à « hacker l’administration » comme elle aime à le dire, et la transformer en un service enfin productif, efficace et rentable…

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