Si Jaurès (2)…

…avait vécu.

Bernard Langlois  • 24 novembre 2014
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La main de Villain a tremblé. Il ne s’est rien passé au Croissant, en cette soirée du 31 juillet 1914.

L’Humanité a publié un dernier éditorial où Jaurès dénonce le mensonge de ses partenaires du gouvernement, qui lui juraient la veille encore rechercher avec l’Angleterre les moyens d’éviter la guerre, alors qu’ils la considéraient déjà comme acquise : « Ils ont menti et trahi. Ils ont trahi le pays

Illustration - Si Jaurès (2)…

en l’engageant ainsi, secrètement, aux côtés de la Russie. Et certains ont en plus trahi le socialisme. » [^2]

Jaurès a eu de la chance : il est rentré intact de l’enfer et reprend la tête de L’Humanité . Le quotidien a continué de paraître pendant les quatre ans de guerre, mais sous une forme croupion (mobilisation d’une grande partie du personnel, restriction drastique du papier, instauration de la censure…). Il va falloir tout réorganiser.

L’ancien député de Castres (il a démissionné de son mandat avant son engagement dans les services de santé au front) entend bien poursuivre son combat politique au service de la classe ouvrière. Il laisse à d’autres les flons-flons de la victoire. Plus encore que le carnage, qui a saigné l’Europe à blanc, c’est la désunion des travailleurs qui accable Jaurès : ainsi, les camarades socialistes, oubliant L’Internationale et les serments d’unité, se sont entretués…

Tout est donc à refaire.

Non, pas tout.

A l’est, du nouveau. Avant même la fin de la guerre, une lueur s’est levée. La révolution d’Octobre 17 ouvre des perspectives immenses aux révolutionnaires du monde entier, redonne à tous les prolétaires la force du combat et les perspectives qu’un monde meilleur est possible.

Jaurès est-il de ceux qui y croient? Difficile de l’affirmer. Il est en tout cas de ceux qui suivent l’évolution de la situation russe avec sympathie. Du reste, avant guerre, les rapports avec les Russes étaient cordiaux. Trotski le tient en haute estime ( « Jaurès a été le plus grand homme de la IIIè République ») et Lénine lui-même, au-delà des critiques qu’il porte sur son “idéalisme”, déclare apprécier le soutien que le socialiste français a apporté à la révolution russe de 1905 (qui fut comme la répétition générale de celle de 17). Vladimir Ilitch juge même « excellent » son plan d’action contre la guerre alliant « la rigueur de l’analyse » et « les mesures de lutte les plus résolues et les plus révolutionnaires. » [^3]

Et pour ce qui concerne ce dernier point, vous noterez la date (1907) : nous ne sommes plus dans la fiction : ces appréciations des grands dirigeants bolcheviks portent sur l’action d’un Jaurès bien vivant !

(A suivre)

[^2]: Cf. « Rallumer tous les soleils, Jaurès ou la nécessité du combat » de Jérôme Pellissier (Editions de l’Amandier, 132 p., 14€)

[^3]: Noté par Jean-Paul Scot, Jaurès et le réformisme révolutionnaire pp.355-356. op.cité.

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