A la mémoire des hobos

Christine Tréguier  • 19 décembre 2014
Partager :

Illustration - A la mémoire des hobos

Comme à l’habitude pour finir l’année, quelques idées de cadeaux intelligents piochés dans le catalogue de Vertige Graphic. Cette vénérable maison d’édition de bande dessinée « alternative, indépendante et engagée », fondée en 1987 par Giusti Zuccato, Latino Imparato et Gianni Miriantini, a à son actif plus de cent vingt titres publiés depuis 1993. Des albums luxueux, choisis par ces « militants de l’image » pour l’intérêt politique des histoires qu’ils racontent.

Les Rois vagabonds, dont Vertige Graphic a publié la version française en 2003, nous plonge dans les tourments de l’Amérique des années trente. Il est signé par un auteur de théâtre, James Vance, dont c’est la première adaptation BD inspirée d’une de ses pièces, et illustré par Dan E. Burr. L’idéal de conquête américain a cédé la place à une Amérique en plein marasme économique. Le secteur agricole est en perdition, les ouvriers des usines sont mal payés, le chômage galope. La Grande dépression jette sur les routes les oubliés de l’american way of life. Ils sautent de train en train, cherchant ailleurs une vie qu’on ne leur laisse pas. Ce sont les hobos, les clochards du rail que Kerouac appelera plus tard les « clochards célestes ». Ce roman graphique est une épopée à travers leur royaume. On y apprend les signes marqués à l’entrée des villes pour dire aux autres si police et habitants sont tolérants ou non, les modes de survie, la faim qui rode, la solidarité et parfois la folie que génère l’insécurité perpétuelle. C’est aussi le voyage initiatique de Fred Block, adolescent de 13 ans livré à lui-même après la mort de la mère, la dégringolade du père dans l’alcool qui entraine perte d’emploi et abandon du domicile, et la glissade du frère ainé dans la délinquance. Obligé de fuir, Freddie part vers Détroit en quête d’un père qu’il ne retrouvera pas et fait équipe avec Sam, dit le roi d’Espagne, qui va lui apprendre la démerde. En chemin il va comprendre la vie, la puissance de la lutte collective et se séparer de ce père de substitution.

« Dans les cordes » est le second volet du périple de Freddie à travers l’Amérique en crise. Le jeune homme a dix huit ans et il travaille dans un cirque ambulant de la WPA (Work Progress Administration, une initiative du New Deal initiée pour créer des emplois pour les démunis tout en divertissant les populations). Il est l’assistant de Mr Cordey, un « escapiste » qui chaque soir échappe à la corde qui doit le pendre en défaisant les menottes entravant ses mains. Mais la vie du cirque n’est qu’une façade pour Fred. En sautant d’un train, il a perdu une jambe et il marche avec une prothèse de bois. Cet accident l’a mis en contact avec les communistes et les syndicats et il s’est engagé dans le combat pour l’égalité et le droit au travail pour tous. Au fil des pages, on entrevoit les aciéries en grève, les réunions clandestines, l’organisation des syndicalistes, les pressions opérées par les patrons pour intimider les ouvriers via des officines douteuses de détectives. Deux d’entre eux sont sur la piste de Fred qui a été agent de liaison et ils vont le poursuivre jusqu’au cirque…

Egalement au catalogue Vertige Graphic, les trois très beaux volumes de « Hugo Pratt, un gentilhomme de fortune ». Trois romans graphiques d’aventure dans lequels Paolo Cossi raconte avec talent et humour la vie mouvementée du célèbre dessinateur, père de Corto Maltese. Le premier « Visions africaines » évoque son adolescence africaine, le second « Venise » est une plongée dans la ville pendant l’occupation allemande et la fin de la guerre, et le troisième « Sur un air de tango » paru en 2013, retrace la période argentine.

{{Sur le web }} [Le site de Vertige Graphic->http://www.vertige-graphic.com]
Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don