Compte à rebours du climat. En direct de Lima(7) Fable: les diplomates, le dieux, les grenouilles et les Indiens

Claude-Marie Vadrot  • 11 décembre 2014
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Il était une fois des Indiens précolombiens, qui ne savaient pas encore qu’ils s’appelaient ainsi ni qu’ils étaient les premiers habitants d’un continent qui ne se nommait pas encore l’Amérique. Nul ne sait quel nom ils se donnaient, mais les archéologues et les historiens les ont installé comme représentants de la Civilisation de Caral. Parce que c’est dans cette région, à 200 kilomètres au nord de Lima, qu’ils ont retrouvé leurs traces. Pas n’importe lesquelles : plusieurs grandes pyramides, des maisons, des temples et des lieux de cérémonies et d’adoration du feu que les spécialistes débarrassent minutieusement depuis des années de leur gangue de sable apporté par le vent. Ces hommes et femmes se sont installés dans la vallée du Supe et quelques autres rivières alimentées par le château d’eau des Andes, toutes proches ; au temps ou les Egyptiens ne rêvaient pas encore à leurs pyramides.

Leur classe supérieure vivait en haut sur les temples et la classe inférieure était reléguée en bas de la cité et prés des rivières, elles ne se mélangeaient jamais, sans savoir qu’elles inventaient aussi la lutte des classes. Mais il n’y avait pas de classe moyenne. Les uns et les autres avaient mis au point une agriculture en équilibre écologique alimentée, comme le firent d’autres civilisations après eux, par un réseau de canaux qui desservait chaque maison hors la ville et surtout chacune des cultures. Notamment le coton qu’ils tressaient pour ceux d’entre eux qui pêchaient dans la mer toute proche et pour maintenir les pierres et le sable de leurs constructions. Sur place il est possible de voir ces canaux, y compris ceux qui apportent encore de la vie aux cultures dans un désert qui commence, au mètre prés, là où l’eau de parvient pas. Parce que, sur la côte au nord de Lima, sur des centaines de kilomètres, ne s’étend qu’une zone désertique car, comme dans la capitale il n’y pleut aujourd’hui pratiquement jamais. Encore moins qu’à l’époque de ces premiers Américains.

L’une des pyramides de Caral désormais en plein désert

Illustration - Compte à rebours du climat. En direct de Lima(7) Fable: les diplomates, le dieux, les grenouilles et les Indiens


Cette histoire se passait 5000 ans avant notre ère et se prolongea quelques milliers d’années. Comme les chercheurs n’ont retrouvé sur les lieux aucune fortification et aucune trace d’armes, même rudimentaires, alors que les objets de cultes et les outils usuels récupérés sont abondants, ils en ont déduit que ce gens avaient une autre supériorité sur les autres et sur nous, ils ne se battaient pas. Ni entre eux, ni avec leurs voisins.

Mais vers le début des années 2000 avant notre ère, l’eau venue des Andes commença à se tarir et les pluies à se raréfier. Le climat changeait lentement et les Indiens de la Civilisation Caral ne savaient pas quoi faire, ignorant que le fameux courant El Niño se modifiait déjà. Il devenait de plus en plus difficile à cette société, partagée avec des pêcheurs de leur ethnie, de nourrir sa population ; faute d’irrigation suffisante et parce que la chaleur devenait trop importante, même pendant l’hiver austral. Situation d’autant plus tragique que le bouleversement alors en cours suscitait de plus en plus de vent qui recouvrait peu à peu les meilleures terres. Leur civilisation agraire basée sur les équilibres écologiques de l’agriculture commença à se désagréger et à disparaitre. Mais contrairement aux Mayas qui avaient commis l’imprudence de couper trop d’arbres autour de leurs temples et villes, provoquant un changement de l’écosystème agricole et nourricier, les indiens de Caral n’étaient pas responsables de leurs malheurs. Ils les subissaient sans comprendre, siècle après siècle, ne parvenant pas à s’adapter.

Alors, certains d’entre eux, décidèrent de migrer vers le sud et s’arrêtèrent sur des collines dominant la mer, dans une région où les Espagnols installèrent un jour du XVI ème siècle, la petite ville de Véguéta, à 140 kilomètres au nord de Lima. Sur un site que les archéologues ont découvert il y a quelques années et auquel spécialistes ont donné le nom de Vichama. Ils y installèrent une communauté d’agriculteurs et de pêcheurs. Sans oublier d’y édifier ce qu’ils savaient le mieux faire : des pyramides, des temples et des canaux d’irrigation destinés à la culture, une partie de leur nourriture étant également tirée de l’océan tout proche. Leur confiance dans les dieux étaient grandes mais comme les précédents ne leur avaient guère été favorables, ils en inventèrent un nouveau : la rana, autrement dit la grenouille parce qu’elle était réputée –déjà- comme ayant des rapports privilégiés avec l’eau, le ciel et la pluie. En témoigne, sur la partie la plus haute de l’un des temples en partie dégagé du sable après sept ans de travaux par les chercheurs péruviens, la représentation sculptée d’une tête de grosse grenouille arborant des mains humaines tournées vers le ciel. Comme une imploration au dieu ajouté à leur Panthéon.

Mais ce nouveau dieu appelant la pluie ne fut pas plus efficace que les prières précédentes lancées par les prêtres depuis le site de Caral ; et autour de l’An 1000 avant notre ère, la civilisation de Caral disparut doucement et surement, certains de ses membres se réfugiant dans les hauteurs des Andes et parfois dans les vallées amazoniennes où l’eau ne manquait pas. Ces premiers indiens se fondirent alors dans d’autres groupes indigènes puisque l’histoire indienne ne s’est jamais arrêtée, même après la disparition apparente des Incas décimés par les Conquistadores espagnols. Comme l’ont prouvé le 8 décembre les représentants des indigènes de tout le Pérou et des Andes lançant face à la Conférence climatique le « Sommet des peuples » avec des imprécations et des paroles très fortes. Notamment pour sauver l’eau qui commence à faire défaut sous l’influence du dérèglement climatique et de l’agro-business conjugués ; y compris dans ce qui reste de la région de Caral. Mais, même pour sauver leur Mère Terre, les indiens et les paysans ne croient plus au dieu grenouille…

Les 5000 et quelques grenouilles-diplomates réunies dans la conférence climatique de Lima n’ont jamais entendu parler de la civilisation de Caral car leur vision est limitée aux arbres hâtivement planté pour leur venue et abondamment arrosés pour qu’ils ne crèvent pas avant la fin de cette semaine. Ces grenouilles qui se prennent pour des dieux devraient réfléchir un peu sur cette histoire du pays qui les accueille. D’autant plus que contrairement aux Indiens de Caral, ils sont, eux, responsables des bouleversements climatiques qui mettent en grand danger la civilisation au nom de laquelle ils viennent une fois de plus de s’assembler. Sans savoir ou sans vouloir comprendre que le dieu argent vers lequel ils se tournent toujours en désespoir de cause et d’imagination est un dieu mauvais auquel il ne faut jamais faire crédit.

Dans ce qui reste de la vieille vallée des Indiens, on cultive souvent les asperges, vertes ou blanches, exportées par avion en Europe et en France


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