Russie: entre rouble en baisse et vodka en hausse les symptômes d’une mauvaise gestion économique basée sur les hydrocarbures

Claude-Marie Vadrot  • 17 décembre 2014
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La majorité des Russes, surtout lorsqu’ils ne résident ni à Moscou ni à Saint-Petersbourg, ne se formalisent guère de ne plus pouvoir acheter du camembert, du roquefort, du poulet de Bresse, des escalopes de dinde, des fraises espagnoles (d’hiver), du jambon d’Auvergne, des frites surgelées belges ou de la mâche nantaise sous plastique. Par contre, ils comprennent mal pourquoi sur les marchés et dans les supermarchés, dans la capitale ou ailleurs, les légumes, les fruits et les viandes en provenance des provinces russes sont en général plus chers et plus rares que les produits équivalents en provenance de l’Union européenne. Ceux que l’embargo du pouvoir russe interdits désormais d’importation dans la Fédération. Passe encore pour le fromage qui n’a jamais été considéré comme une réussite gastronomique russe, sauf lorsqu’il provient des contreforts du Caucase. Mais ce dernier est désormais vendu au prix du camembert disparu. Dans un autre secteur, celui de l’électroménager : les équipements européens ont disparu des magasins et sont mal remplacés par des appareils de fabrication nationale dont la production insuffisante suffit d’autant moins à combler les vides qu’ils sont vendus aux mêmes prix ou souvent à des prix plus élevés, que ceux qui étaient importés.

Au cœur de la crise qui secoue le pays depuis quelques semaines, le président russe et son gouvernement peuvent difficilement expliquer pourquoi, en une quinzaine d’années de règne après Boris Eltsine, l’économie russe n’a guère investi dans l’agriculture et dans l’agro-alimentaire .Alors que le pays dispose de tous les climats européens et de terres très fertiles. Pas plus qu’ils ne peuvent reconnaitre qu’avec l’argent du pétrole, du gaz et de quelques minerais, dans une économie largement administrée par le pouvoir, il n’a pas été possible de mettre sur pied un réseau d’usines aptes à faire face à la demande intérieure. Alors que, avec tous les défauts et imperfections de l’Union soviétique, surtout liés aux errements de la distribution, la production de l’alimentation et des équipements permettait il y a quarante ans de faire face à la demande. Même si, dans ces deux domaines, la variété et la finition n’étaient pas au programme du Plan…

En fait, vivant sur une rente d’extraction tout en accumulant une énorme réserve de devises, la Russie n’a jamais réussi à mettre sur pied un système agro-alimentaire et un réseau d’entreprises industrielles tournés vers la satisfaction des Russes. Tout simplement parce que exporter des matières premières et importer des produits finis rapporte beaucoup plus aux grandes sociétés russes sans qu’il soit nécessaire d’avoir beaucoup d’imagination et sans prendre le moindre risque. D’autant plus que se sont en partie les mêmes qui exportent et importent.

L’embargo et la baisse du prix du pétrole n’auront été qu’un révélateur de la mauvaise santé ou de l’absence de gestion de l’économie russe qui se discerne clairement depuis le début de l’année, avant le conflit lié à l’Ukraine. La chute du rouble dont la valeur, par rapport à l’euro, a été divisée par deux depuis les Jeux Olympiques de Sotchi. Comme le prix du baril de pétrole. Les responsables russes se sont tapés eux-mêmes sur la tête en répondant aux sanctions européennes et américaines par un une réplique qui a touché une partie de la classe moyenne et de la classe la plus riche ; en même temps cette réplique nationaliste fait apparaitre que la Russie n’est plus actuellement qu’un pays sous-développé ne pouvant pas faire face aux besoins de ses habitants. Les sanctions ne sont qu’un épiphénomène de faible importance révélant les symptômes de la mauvaise santé d’un pays qui continue à perdre des habitants et qui est en train de faire des coupes claires dans un système de santé déjà mal parti.

Ce sont les Russes qui commencent à payer le prix de la mauvaise gestion à court terme de leur pays : inflation qui dépassera 10% à la fin de l’année et probablement plus au premier semestre 2015, forte augmentation de nombreux prix sur les produits de base et sur l’alimentation. Une crise qui touche la capitale et ses privilégiés mais qui va bouleverser la vie quotidienne dans les villes de province et les zones rurales qui souffrent déjà depuis des années.

Comble de malheur pour les Russes le pouvoir a décidé une première augmentation d’en moyenne 20% sur la vodka. Vladimir Poutine, qui vient d’être désigné « homme de l’année » par ses concitoyens devrait se souvenir de la rancune accumulée en quelques mois par les Russes contre Mikhaïl Gorbatchev parce qu’il avait tenté de limiter la vente de cette vodka pour essayer de limiter les ravages de l’alcoolisme…

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