Un déréférencement toujours aussi flou

Un internaute peut-il demander à un moteur de recherche de supprimer les liens vers des pages le concernant ? La réponse est oui, mais…

Christine Tréguier  • 5 décembre 2014
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Illustration - Un déréférencement toujours aussi flou

Un internaute peut-il demander à un moteur de recherche de supprimer les liens vers des pages le concernant si celles-ci lui nuisent ? La réponse est oui. Mais il n’est pas dit que Google accède à sa requête. C’est ce qui est arrivé à un citoyen espagnol qui cherchait à faire disparaître du Net deux articles de presse concernant de vieilles dettes réglées de longue date. L’autorité espagnole de protection des données a estimé que l’affaire n’était plus d’actualité et a enjoint Google de ne plus indexer ces articles. La firme de Mountain View ayant saisi l’autorité judiciaire, c’est finalement la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a été appelée à la rescousse pour trancher l’affaire en mai 2014.

Elle a estimé qu’un moteur de recherche sur Internet est responsable du traitement qu’il effectue des données à caractère personnel apparaissant sur des pages web publiées par des tiers. Et que « lorsque, à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, la liste de résultats affiche un lien vers une page qui contient des informations sur la personne en question, celle-ci peut s’adresser directement à l’exploitant   » . Si bien que « lorsque celui-ci ne donne pas suite à sa demande,  [il peut] saisir les autorités compétentes pour obtenir, sous certaines conditions, la suppression de ce lien de la liste de résultats » . Parmi les conditions évoquées pour obtenir gain de cause, le fait que les contenus en question soient « inexacts ou faux » , « incomplets ou inadéquats » , « excessifs ou inappropriés » ou encore « obsolètes ou plus pertinents » .

Cet arrêt reste excessivement flou et ne satisfait ni les moteurs de recherche ni les nombreux experts, lesquels estiment que de telles décisions ne sauraient être le fait de sociétés privées. De son côté, Google a mis en place un formulaire en ligne et, face à l’avalanche de demandes, promet un rapport pour 2015. Le moteur de recherche borde sa responsabilité derrière des comités consultatifs de personnalités indépendantes et des réunions publiques sur le sujet.

L’une des craintes le plus souvent exprimées est que les demandes de déréférencement émanant des personnalités ou de dirigeants d’entreprises visent à effacer de vieilles casseroles et s’opposent en ce cas à la liberté d’information et d’expression. Quelques-uns des exemples de désindexation de contenus par Google semblent le confirmer. Pour preuve, la BBC s’est vue notifier sans autre explication la suppression d’un article sur la démission forcée d’un patron de la banque d’investissement Merrill Lynch accusé de mauvais investissements. Au Guardian ce sont plusieurs articles concernant un arbitre de foot qui avait menti sur les raisons pour lesquelles il avait accordé un penalty qui ont disparu. Mais de la page de Google.uk uniquement. Ils restent accessibles via Google.fr ou Google.com, y compris en réponse à des requêtes portant sur autre chose que le nom de l’intéressé.

Pour tenter d’éclaircir un peu les choses, le groupe Article 29, rassemblant les autorités de protection des données européennes, vient de publier des règles pour l’implémentation de l’arrêt de la CJUE, à savoir la mise en place d’un système d’exploitation ou d’un logiciel s’y référant. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles n’éclairent pas grand-chose. Concernant l’équilibre entre le droit au déréférencement et la liberté d’information et d’expression, il est stipulé que « le résultat pourra dépendre de la nature et de la sensibilité des données traitées et de l’intérêt du public à avoir accès à ces informations particulières. L’intérêt du public sera significativement plus important si la personne à qui ont trait les données joue un rôle public ». Il est précisé qu’en ce cas « la désindexation ne sera pas appropriée » .

Le document ne complète la décision de la Cour de justice que sur un seul point : l’étendue du déréférencement. Afin que le droit des personnes soit vraiment effectif, les liens vers les pages dérangeantes devront disparaître dans le moteur de recherche national, dans les autres versions européennes et également dans Google.com. Ce que Google exclut, considérant que les Européens n’utilisent pas le moteur international. La CNIL a également publié une liste de critères communs à utiliser pour l’examen des plaintes et annonce qu’elle tranchera au cas par cas. Du coup, on ne sait plus trop qui de Google ou de la CNIL va « juger » qui a le droit d’être déréférencé ou pas…

{{Sur le Web}}

Un article de Next INpacthttp://www.nextinpact.com/news/91147-droit-au-dereferencement-criteres-cnil-pour-se-faire-oublier-sur-google.htm

Les règles communes de la CNIL[http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/droit-au-dereferencement-interpretation-de-larret-et-criteres-communs-dinstruction-des-pla/->http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/droit-au-dereferencement-interpretation-de-larret-et-criteres-communs-dinstruction-des-pla/]

La réaction de la Quadrature du Nethttp://www.laquadrature.net/fr/droit-a-loubli-la-cnil-sadoube-censeur-du-net

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Temps de lecture : 4 minutes
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