Russie: avec la condamnation de l’opposant Navalny, Poutine accentue les répressions et réjouit une majorité de Russes

Claude-Marie Vadrot  • 1 janvier 2015
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En Russie, le nouveau tsar entamant sa quinzième année de règne, 2015 ressemblera à 2014. Patiemment, Poutine et son équipe réduisent les derniers nids de résistance à leur politique et au contrôle du pays. Ils appliquent les règles apprises au sein du KGB où beaucoup ont fait leurs premières armes et où le Président fut colonel puis responsable de l’organisme, le FSB, qui a pris la suite en 1992, resserrant progressivement l’espace des libertés : les journaux, les radios, les chaines de télévision passant progressivement sous le contrôle direct ou indirect du pouvoir. A Moscou et à Saint Petersbourg bien sur, mais surtout en province où la moindre tentative de déviance est réprimée par des interdictions professionnelles ou par des condamnations à des peines de prison ou d’internement dans des camps de travail.

La justice reste au service du pouvoir contre les récalcitrants à l’ordre nouveau : il suffit de se souvenir que l’écologiste de la région de Sotchi, mon amis Evgueni Vitischko, a été condamné en février 2014 à 3 ans d’enfermement dans un camp de travail à régime sévère pour avoir contesté les conditions et les conséquences de l’aménagement de sa région natale pour la tenue des jeux olympiques d’hiver. A c ours de l’été dernier, il a été « puni » de plusieurs semaines d’isolement à régime sévère pour avoir mal rangé sa nourriture dans le sac fourni par l’administration ! Il a ensuite entamé, dans l’indifférence des médias russes, une grève de la faim qu’il a du interrompre après des menaces de mort de l’administration du camp et de détenus de droit commun. Les visites amicales et familiales lui sont refusées.

Cette justice aux ordres, qui fonctionne à peu de choses près comme au temps de l’Union soviétique, vient de condamner l’avocat de l’opposition Alexeï Navalny à trois ans et demi de camp de travail. Avec sursis ; tandis que son frère, Oleg, écopait de la même peine, mais ferme. Pour Alexeï, le tribunal de Moscou avait reçu pour consigne de ne pas le transformer en martyr. D’autant plus que pour une autre des « affaires » montées contre lui, il est désormais assigné à résidence depuis le début de 2014 ; ce qui lui interdit, en plus, toute activité politique. Origine de la dernière condamnation : une sombre histoire financière dans les relations que la société de transport et de distribution dirigée par les deux frères entretenaient avec la branche russe de la société Yves Rocher. Il semble, mais les débats devant la justice n’ont pas été très clairs, que le pouvoir politique a fortement « incité » Yves Rocher à porter plainte. Pourtant, après avoir expliqué qu’elle n’avait subi aucun préjudice, la société française n’était par représentée au tribunal et son ancien directeur en Russie a été recasé dans une société proche du régime. Comme une récompense…

En s’attaquant à Navalny qui conteste bruyamment le régime de Poutine et son « Parti des escrocs et des voleurs » depuis la fin 2011, le pouvoir tente de mettre fin à l’aventure politique menée par ce personnage qui s’est fait d’abord connaitre comme blogueur. Il a ensuite obtenu 30 % des voix lors des élections municipale de Moscou en 2013. Ce qui a inquiété le Kremlin même si Vladimir Poutine et le gouvernement russe savent parfaitement que leur opposant informatique ne propose aucun programme autre que « Sortez les sortants » . Après avoir mis, avec d’autres jusqu’à 100 000 personnes dans les rues de la capitale, son mouvement informel d’opposition s’est rapidement effiloché. D’autant plus qu’il réunit aussi bien des nationalistes, des communistes purs et (très) durs, que des intellectuels qui sont, pour l’instant, vues leurs abyssales divergences, incapables de mettre sur pied une plate forme politique commune. Et la participation au conflit dans l’Est de l’Ukraine ainsi que l’occupation de la Crimée, a permis au pouvoir de rassembler encore plus de Russes dans la surenchère nationaliste et à marginaliser les opposants.

Comment donc qualifier un régime où s’ajoute, la corruption au quotidien ou de grande envergure nationale, la répression des associations (Mémorial, Le Mères de Soldats…) qualifiées d’ « Agents de l’étranger » , la disparition des médias indépendants, le contrôle en préparation législative d’Internet, l’omniprésence du parti dominant Russie Unie régnant sur la politique et les économies locales et la mainmise de l’Eglise orthodoxe (surtout en province) sur une sorte de police des mœurs ; au point qu’une femme et un homme ont été condamnés à 15 jours de prison à Irkoutsk en Sibérie pour s’être embrassés dans la rue sans être mariés. Attitude qualifiée d’indécente.

Reste, ce qui semble réjouir une partie de l’extrême gauche, une partie de la droite sarkorzienne et toute l’extrême droite, qu’une large majorité des Russes soutient le Président Poutine. Comme si l’autoritarisme et le nationalisme (soit disant anticapitalistes et anti-américains) comportaient des charmes aux yeux de certains. L’adhésion des Russes pourrait évoluer avec la chute du rouble face au dollar et à l’euro et surtout avec la vertigineuse augmentation des produits alimentaires russes. Cette dernière étant particulièrement sensible et pénalisante dans les grandes villes de province et dans les zones rurales. Mais, comme le disaient déjà les sujets de l’Empire Russe, « Bien sur, c’est terrible, mais le Tsar n’est pas au courant… » .

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