Secret industriel : circulez y’a rien à dire

La loi pour la croissance et l’activité, dite loi Macron, est, on le sait, un objet législatif assez hors norme. Le débat en commission spéciale des lois a duré la bagatelle de quatre-vingt-quatre heures. Le texte d’origine, déjà fort de 109 articles, en est ressorti avec 209 articles, soit presque le double. 1 861 amendements avaient été déposés avant l’examen en commission et 3000 de plus avant que ne débute la lecture publique du 26 janvier devant l’Assemblée nationale. Dans ce fatras, un amendement déposé le 12 janvier 2015 par le rapporteur général de la loi Richard Ferrand, avait échappé à la vigilance de ceux qui étudient les projets de loi pour débusquer les pièges. Il s’agit en fait d’un copier-coller d’une proposition de loi déposée par le groupe socialiste en juillet 2014. Il introduit en droit français une notion qui n’y figure pas mais que les industriels s’efforcent depuis des années d’y faire entrer, celle de « secret des affaires ». Le moins qu’on puisse dire est que le spectre est large. Ce secret protègerait toute information ne présentant pas un caractère public : soit parce qu’elle n’est pas « généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de ce genre d’information » ; soit parce qu’elle relève « du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur » et a une valeur économique ; soit parce qu’elle « fait l’objet de mesures de protection raisonnables ».
Toute atteinte, ou tentative d’atteinte à ce « secret des affaires » serait passible de trois ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende, et de sept ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende si la souveraineté, la sécurité ou les intérêts économiques essentiels de la France sont en jeu.

Est-ce l’amendement de trop ? Toujours est-il qu’il soulève un tollé général et nombre d’inquiétudes. Chez les journalistes tout d’abord qui craignent que ce secret ne vienne entraver leurs enquêtes, voire transforme en délit la révélation des pratiques douteuses de certaines entreprises. Comment informer sur les évasions fiscales, les soustraitances par des boites qui emploient des enfants ou les dangers de telle prothèse ou tel médicament si il suffit aux entreprises de se retrancher derrière le caractère non-public des informations divulguées ?
On leur répond qu’il est écrit noir sur blanc que le texte ne s’applique pas « à celui qui informe ou signale aux autorités compétentes des faits susceptibles de constituer des infractions aux lois et règlements en vigueur dont il a eu connaissance ». Soit, mais toutes les enquêtes n’ont pas trait à des « infractions ». Et puis cet article vise aussi très clairement à dissuader les lanceurs d’alerte et tous ceux qui informent les journalistes sur les petites et grandes malversations de leurs employeurs.

Malgré les dénégations d’Emmanuel Macron et de Michel Sapin, qui jurent qu’il n’a jamais été question de toucher au droit de la presse et que le texte sera modifié en séance, un grand nombre de médias français ont signé et publié la pétition «Secret des affaires : informer n’est pas un délit ». Ils y demandent le retrait d’un texte préparé sans la moindre concertation et qui laisse la libre interprétation aux seules entreprises de ce qui relèverait désormais du «secret des affaires». Petit extrait : « Avec la loi Macron, vous n’auriez jamais entendu parler du scandale du Médiator ou de celui de l’amiante, de l’affaire Luxleaks, UBS ou HSBC sur l’évasion fiscale, des stratégies cachées des géants du tabac, mais aussi des dossiers Elf, Karachi, Tapie-Crédit lyonnais, ou de l’affaire Amésys, du nom de cette société française qui a aidé une dictature à espionner sa population. Et on en passe… La simple révélation d’un projet de plan social pourrait, en l’état, elle aussi, tomber sous le coup de la loi Macron. »

Les syndicats CGT et CFTC ont également dit leur opposition à un texte qui pourrait limiter « la capacité d’action des institutions représentatives du personnel et des organisations syndicales ». Action qui passent souvent par le fait de révéler aux salariés et à la presse des informations pas forcément publiques.