La faute à Internet

Christine Tréguier  • 25 février 2015
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Qu’on se le dise, la France a bien l’intention de nettoyer Internet de tous les sites et commentaires racistes qui y prolifèrent. Depuis les attentats qui ont frappé Charlie Hebdo , nos gouvernants n’ont de cesse de désigner le coupable, celui dont se servent les fanatiques pour recruter les jeunes des quartiers. Tout cela, c’est la faute à Internet. Le ministre de l’Intérieur le clame à qui veut bien l’entendre : « 90 % de ceux qui basculent dans des activités terroristes au sein de l’Union européenne le font après avoir fréquenté Internet. » C’est un peu comme dire que 90 % de ceux qui ont joué au loto ont utilisé un stylo. La réalité n’est évidemment pas si simpliste. Les affaires récentes ont démontré que les auteurs d’attentats en France, qu’il s’agisse des frères Kouachi, de Coulibaly ou encore de Mohamed Merah, se sont radicalisés en prison au contact d’autres détenus. La plupart des professionnels s’accordent pour dire que ceux qui partent pour un entraînement en Syrie ou en Afghanistan rencontrent d’abord physiquement un recruteur. Libération a d’ailleurs souligné que ce chiffre de 90 % émane d’un rapport du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, lequel se fonde sur un échantillon de 160 familles…

Le ministre de l’Intérieur a donc pris son bâton de pèlerin. Il a profité d’un sommet international contre la violence extrémiste organisé à Washington pour aller rencontrer des représentants d’Apple, de Google, de Facebook, de Twitter et de Microsoft dans la Silicon Valley, et leur faire part de ses desiderata. En gros, les géants du net, ayant montré qu’ils pouvaient le faire, sont priés de continuer à « retirer sans délai » la propagande jihadiste à la demande des autorités. Il souhaite aussi obtenir leur collaboration pour identifier les auteurs lors des enquêtes antiterroristes. Lors du dîner du Crif, François Hollande a remis le couvert et a lui aussi interpellé les grands du réseau : « Les grands opérateurs doivent être mis devant leurs responsabilités. Quand des sites de partage de vidéos en ligne diffusent des harangues antisémites ; quand, en un clic sur un moteur de recherche, on trouve des pages et des pages où se déploie impunément le négationniste, alors l’indifférence devient complicité. Et si vraiment les grands groupes Internet ne veulent pas être les complices du mal, ils doivent participer à la régulation du numérique. » Et de réitérer l’annonce déjà faite par son ministre d’une proposition de rendez-vous à Paris au mois d’avril prochain afin de « conclure un accord sur le retrait des contenus illicites et de permettre une coopération avec la plateforme Pharos de signalement, qui sera elle-même renforcée en personnel et matériel » . On ignore pour le moment si Google and Co ont répondu favorablement à l’invitation, mais au-delà d’un principe de bonne volonté, on voit mal quel type d’accord pourrait être signé.

Une semaine plus tôt, c’est Christiane Taubira qui a elle aussi appelé à plus de régulation.
« Les infractions reconnues dans l’espace public doivent pouvoir l’être également dans l’espace Internet » , a-t-elle rappelé lors de son discours de clôture des premières assises de la lutte contre la haine sur Internet organisées par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Ce que les lois en vigueur permettent déjà. « La difficulté est de trouver les réponses les plus adaptées, mais nous sommes décidés à mener une lutte sans merci contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet » , a expliqué la garde de Sceaux.
« Il y a en ce moment un processus de travail qui se fait dans le cadre de la préparation du projet de loi sur le numérique et c’est dans ce cadre là que nous allons trouver les instruments les plus adaptés. » La chose est évoquée en coulisses, il s’agirait d’étendre le blocage administratif, réservé aux sites pédopornographiques et à ceux faisant l’apologie du terrorisme, aux contenus relevant du racisme ou de l’antisémitisme. Il est étrange que la première des magistrates de France soutienne une telle procédure qui exclut précisément le juge de la boucle. Et puis de quoi parle-t-on ? De censurer des sites, des pages, des commentaires dans les forums, des pages Facebook ? Va-t-on traquer les appels au meurtre ou les insultes, l’antisémitisme ou l’antisionisme ? Faire croire qu’on pourrait supprimer toute expression de racisme sur Internet est non seulement stupide mais c’est aussi une très mauvaise et irresponsable opération de communication.

Une chose est sure, les prochains textes de loi sur le renseignement, qui devraient être présenté en Conseil des ministres en mars, et sur le numérique risquent bien de contenir quelques mauvaises surprises.

{{Sur le web}} [Les exagérations de Bernard Cazeneuve->http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/02/20/djihadisme-sur-le-web-les-exagerations-de-bernard-cazeneuve_4580547_4408996.html]
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