Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?

Les principaux réseaux environnementalistes se sont réunis au forum social mondial de Tunis pour décider de leurs actions lors du grand sommet climatique que la France accueille en décembre prochain.

Patrick Piro  • 26 mars 2015
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Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?
photos © Patrick Piro

Illustration - Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?

Ils connaissent désormais au moins un mot en basque , les quelque 70 000 participants du forum social mondial (FSM) de Tunis : Alternatiba (alternative), le nom du mouvement social climatique mis en branle par l’association bayonnaise Bizi depuis octobre 2013. Les militants au maillot vert ont méthodiquement apposé leurs affiches sur les murs de l’université El Manar, où se tient le rassemblement altermondialiste, mais aussi le long du parcours de la marche d’ouverture du FSM. Nul ne devrait ignorer (c’est écrit en plusieurs langues) qu’un Tour de France Alternatiba va parcourir 5 000 kilomètres cet été à travers l’Hexagone et des pays limitrophes pour mobiliser les citoyens en faveur de solutions écologiques, justes et solidaires face au dérèglement du climat. Objectif majeur de l’année : tenir un « village mondial des alternatives » climatiques à Paris, lors du sommet de décembre (COP 21), où les gouvernements de la planète tenteront de signer un accord global de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il faudra massivement investir « Paris » pour peser sur ce conclave, les militants français en sont convaincus. De même Tadzio Müller, de la fondation allemande Rosa-Luxemburg. « Oui, mais quoi leur dire, chez moi, pour les convaincre de venir aussi ? » De Berlin, il déboule à El Manar lundi dernier avec cette obsession en tête, alors que 150 représentants de mouvements climatiques des cinq continents sont réunis pour décider d’actions collectives pendant la COP 21. Il lève les yeux au ciel : « Surtout pas un Copenhague bis ! »
L’échec du grand sommet climatique de 2009 (COP 15) est cuisant pour les mouvements de la société civile : en dépit de mois de pression sur les gouvernements et d’une manifestation qui avait draîné 100 000 personnes dans la froidure de la capitale danoise, rien au bout, pas d’accord sur les émissions de gaz à effet de serre, et une grosse dépression post-Copenhague.
Alors à Tunis, les têtes pensantes planchent en ateliers sur les contours de « narratives » (« récits », « argumentaires » — on parle beaucoup anglais dans ces réunions) et d’une « choregraphy » dynamique pour susciter la mobilisation des citoyens.

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Attention, nos « narratives » ne reflètent pas toujours les attentes des partenaires du Sud, les grosses écuries climatiques du monde occidental les oublient parfois un peu trop, se préoccupe Teresa Anderson, d’Action Aid (Angleterre). « Inclure les droits de peuples et la préservation de la biodiversité dans les forêts tropicales, dont le Nord ne voit souvent que les arbres » , lance Letícia Tura, du mouvement social brésilien Fase. « Expliquer aux Philippins que la multiplication des énormes typhons, c’est le dérèglement climatique » , ajoute la Philippine Marjorie Pamintuan, du réseau Asia-Pacific Research Network. Lyda Fernanda (Transnational Institute, Colombie) rapporte l’expérience latino-américaine : « Il faut mettre en avant que les luttes sociales et écologiques sont intimement liées, et que les multinationales sont derrière tout ça ! » Pour la Française Geneviève Azam (Attac-France), il faut absolument présenter un « récit positif » à la société. « Nos alternatives, c’est la vie, face aux solutions mortifères des forces économiques dominantes – nucléaire, gaz de schiste, stockage du CO2 dans le sous-sol, etc. » Dans la petite salle TD2 des bâtiments de la fac de gestion d’El Manar, Teresa Anderson note soigneusement au tableau les idées qui fusent.

Illustration - Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?

On ne s’accordera pas sur ce fameux « récit » commun, à Tunis , trop tôt, entre Les Amis de la Terre, Attac, Aavaz, Climate Action Network (Greenpeace, WWF, 350.org, etc.) Alternatiba, Moccic, Confédération syndicale internationale (CSI), Solidaires, FSU, CGT, CFDT — « Tous les syndicats sont là ! », se réjouit Christophe Aguiton, d’Attac-France. Cependant, à l’image de ce que la Coalition climat 21 française est en train de réaliser conjointement avec Alternatiba, Nicolas Haeringer (350.org France) relève que les réseaux environnementalistes et ceux qui réclament la « justice climatique » (les plus politisés) ont largement rapproché leurs analyses : plus question, comme à Copenhague en 2009, de tout miser sur une pression exercée ponctuellement sur les gouvernements, tout le monde convient qu’il faut mobiliser largement la société, au-delà de la COP 21, et derrière des objectifs qui ne dépendent pas du calendrier des institutions internationales.

Suffisant cependant pour rassurer Tadzio et les autres , qui ont adopté à Tunis des décisions opérationnelles en vue du sommet de Paris :
– La veille de l’ouverture de la COP (le 28 ou le 29 novembre), seront organisées partout sur la planète des mobilisations nationales ;
– Le 12 décembre, date de clôture de la COP 21, une marche massive à Paris où tout le monde est invité (rappel de la référence en date : 400 000 personnes à New York en septembre dernier face à la conférence climat organisée par Ban Ki-moon aux Nations unies) ;
– et entre les deux ? Pas encore précisé. On compte sur les Français pour animer une « choregraphy » de forums et d’actions, entre la Coalition climat 21 et Alternatiba avec son village planétaire des alternatives. Moue d’un responsable français : « Il faudra tenir l’attention et la tension sur quinze jours, pas une mince affaire… »

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