Protéger les lanceurs d’alerte

Christine Tréguier  • 11 mars 2015
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Illustration - Protéger les lanceurs d'alerte

photo Sylvie Tossain

Alors que la justice prud’homale vient de donner raison à deux lanceurs d’alertes, la question de leur nécessaire protection se pose toujours. La filiale française de la société de services financiers suisse UBS a été condamnée par les prud’hommes de Paris pour avoir harcelé une de ses anciennes salariées, Stéphanie Gibaud, pendant des années. Malgré les pressions de sa hiérarchie et les intrusions dans son ordinateur, l’ancienne directrice de la communication avait refusé de détruire des documents qui mettait en lumière le système d’évasion fiscale de la banque. Ses révélations ont permis à la France d’entamer une procédure contre UBS. Condamnation également pour la société Qosmos qui avait abusivement licencié un de ses employés, James Dune. Celui-ci s’était insurgé en découvrant les ventes à la Lybie et à la Syrie de systèmes de surveillance globale mettant en danger les opposants aux pouvoirs en place et s’était mis en arrêt maladie prolongé jusqu’à son licenciement en 2012.

Comme eux, d’autres ont risqué leur carrière pour dévoiler des scandales financiers, médicaux ou des affaires d’état. Les noms nous sont familiers : Erin Brockovich connue pour avoir dans les années 90 mis à jour l’affaire du chrome hexavalent dans l’eau potable de Hinkley (Californie). André Cicolella, chimiste et toxicologue licencié abusivement en 1994 par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour l’empêcher de poursuivre ses recherches sur les effets des éthers de glycol sur la santé. Irène Frachon, pneumologue, qui a levé le voile sur la dangerosité du Mediator des laboratoires Servier. Bradley Manning, devenu Chelsea Manning, jeune militaire américain qui en juillet 2010 a transmis à WikiLeaks les fameux « war-logs », 92 000 documents militaires classés secret défense sur la guerre d’Afghanistan. Elle a été condamnée à 35 ans de prison pour haute trahison. Julien Assange, fondateur de Wikileaks, sous le coup d’un mandat d’arrêt américain et réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis juin 2012. Edward Snowden, qui suite à ses révélations sur les pratiques de surveillance de la NSA a du trouver asile en Russie. Ou encore Antoine Deltour, l’une des sources à l’origine du scandale Luxleaks, révélant comment les petits arrangements du cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC) avec le fisc luxembourgeois pour organiser l’exil fiscal de ses clients internationaux.

Ces nouveaux Don Quichottes payent très cher leur engagement. Ils se retrouvent souvent sans travail et sans ressources, dans l’incapacité de faire face aux frais d’avocat pour se défendre lors des procès qui leur sont intentés par leurs employeurs ou les entreprises qu’ils dénoncent. Il n’existe aujourd’hui aucun statut permettant aux lanceurs d’alerte de faire valoir que la liberté d’informer prime sur un soi-disant « secret des affaires » et sur des intérêts financiers ou politiques opaques. En Europe, seuls le Luxembourg, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Slovénie ont mis en place un réel dispositif de protection. En France, il est en pointillé, repose sur cinq textes de lois différents, et ne prend en compte que les affaires de corruption, de risques graves pour la santé et l’environnement et de grande délinquance économique et financière.
En avril 2014, William Bourdon (avocat et président de Sherpa), Edwy Plenel (président de Mediapart) et Gérard Ryle (directeur de l’International Consortium of Investigative Journalists) ont donc lancé PILA, Plateforme internationale des lanceurs d’alerte, qui offre informations et conseils et assistance juridique. Son objectif : « favoriser la transparence face à des affaires allant à l’encontre de l’intérêt général, et faire de « l’exception de citoyenneté » un principe reconnu permettant  une protection complète des lanceurs d’alerte. »

Récemment, un amendement à la loi Macron sanctionnant les atteintes au « secret des affaires » a suscité une levée de boucliers des journalistes et de PILA. La mobilisation a payé et a abouti à la suppression de l’article. Début mars, PILA et 24 autres organisations parmi lesquelles Transparency International France, la Fondation Sciences Citoyennes, le Syndicat de la Magistrature, la Ligue des droits de l’Homme, Sherpa, Anticor, La Quadrature du Net, Mediapart et l’OCTFI (Observatoire citoyen pour la transparence financière internationale) ont attiré l’attention sur la directive « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites » qui doit être débattue le 28 avril au Parlement européen. « Les lanceurs d’alerte, pourtant au service de l’intérêt général, sont laissés seuls face à des groupes d’intérêts puissamment organisés. C’est le pot de terre contre le pot de fer. Nous considérons qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de contribuer à inverser ce rapport de forces en les protégeant et en les accompagnant » peut-on lire dans leur lettre ouverte à François Hollande et dans la tribune publiée dans Libération. Le projet les inquiète par sa définition très large du secret des affaires, le fait qu’il pénalise toute infraction sans la limiter à une utilisation des données à des fins commerciales illicites, et l’absence totale de définition des lanceurs d’alerte. Les signataires proposent un plan en trois étapes. Tout d’abord l’adoption d’une loi-cadre, valable pour les secteurs publics et privés, prévoyant une protection globale et des procédures de transmission des informations protégeant l’anonymat. Cette loi devrait être complétée par la création d’une agence indépendante en charge de recueillir et de traiter les alertes et d’en assurer le suivi annuel, et par la mise en place d’un fond de dotation destiné à soutenir financièrement les lanceurs d’alerte.

{{Sur le Web :}} [La lettre ouverte des associations->http://www.liberation.fr/economie/2015/03/02/fragile-droit-d-alerte_1212713] [Le communiqué de la Quadrature du Net->http://www.laquadrature.net/fr/secret-des-affaires-agissons-pour-la-protection-des-lanceurs-dalerte]
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