Sahara occidental ? Et ça explose…

La très épineuse question de l’avenir du peuple sahraoui et de son territoire a provoqué des débordements importants au Forum social mondial de Tunis. Plus que les Marocains, ce sont des participants algériens qui sont en cause, cette fois-ci.

Patrick Piro  • 27 mars 2015
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Sahara occidental ? Et ça explose…
photos © Patrick Piro : - des (paisibles) femmes sahraouis lors de l'Assemblée des femmes - dans le cortège de la marche d'ouverture du FSM - incidents lors du débat du jeudi 26 mars

Illustration - Sahara occidental ? Et ça explose…

Une fois tous les deux ans, la comète Sahara occidental revient traverser le Forum social mondial (FSM). Enfin, depuis que ce dernier se tient dans les parages. Et ça fait des étincelles sur la planète altermondialiste. À Dakar (2011), des Marocains, venus en nombre, en étaient presque venus aux mains avec des Sahraouis. À Tunis (2013) idem, invectives et « dialogue » de sourds. En chaque occasion, des observateurs avertis, dont les organisateurs, ne montraient aucun doute : les fauteurs de troubles, sous le paravent d’appartenance à des associations à la dénomination anodine, s’étaient déplacés par dizaines aux frais de la maison royale de Rabat.
Cette année à Tunis, les organisateurs avaient plus que jamais pris les devants. Et après de longues palabres, rapportent-ils, la partie marocaine semblait prête à respecter le FSM : on a le droit d’y débattre publiquement de tout, même des questions « insolubles », sans mettre le feu aux poudres.

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Las, c’est le front algérien qui a pété. Alger, qui de longue date a fait de la question sahraouie un sujet de conflit avec Rabat, a visiblement renversé sa stratégie envers le FSM cette année. Jusqu’alors, c’est l’authentique société civile algérienne qui s’ingéniait à participer au forum, en maigre et pugnace contingent : lors de son édition 2013, Alger avait prestement fermé sa frontière, et seule une poignée de ses ressortissants était parvenue in extremis à Tunis. En 2015, c’est pléthore : 825 « associations » inscrites, 1 200 participants !
Ce sont quelques-uns d’entre eux qui élèvent rapidement la voix lors de l’Assemblée des femmes tenue mardi 24 mars, jour de l’ouverture du forum. À la tribune s’expriment des représentantes de plusieurs régions du monde, porte-parole choisies avec soin par les organisatrices, membres du Forum social maghrébin. Remarquables Halima Jouini (syndicaliste tunisienne), Gracia Samo (féministe mozambicaine), Solange Koné (militante ivoirienne), qui dénoncent les oppressions et les injustices dont sont victimes les femmes dans tous les secteurs. Puis vient Touriya Lahrech, universitaire marocaine. Elle dira n’avoir fait que dénoncer l’impérialisme en général, dans son discours en arabe. Mais pour les Sahraouies de la salle, c’en est trop, ou plutôt pas assez : depuis le début de l’assemblée, hommage a été rendu aux femmes combattantes de divers horizons, Palestine comprise, et motus sur celles qui vivent en exil dans les camps du Sud-Ouest algérien ou sous contrôle marocain au Sahara occidental revendiqué. Et projetée derrière Touriya Lahrech, une carte du Maroc « unifié », qui escamote le territoire disputé. La Franco-Algérienne Sanhadja Akrouf, modératrice, ne parviendra pas à calmer les esprits. En aparté, elle dira assumer le consensus préalable à l’organisation de la tribune : on ne donnerait pas la parole aux Sahraouies. « Les Marocains sont très présents dans le Forum social maghrébin… »
Des Algériens montent à l’assaut, drapeaux et slogans nationalistes « one-two-three, viva Algérie ! ». La partie marocaine réplique. Les Sahraouies se font petites. L’assemblée s’achève là, dans la confusion totale.
D’autres escarmouches se reproduiront en d’autres occasions similaires, dans les allées de l’université El Manar, où se tient le FSM.

Illustration - Sahara occidental ? Et ça explose…

L’incident le plus lourd est survenu jeudi 26 mars. Près de 500 personnes ont investi l’amphi 2 de la fac de sciences économiques et de gestion pour un débat clé au titre très diplomatique : « Unité du Maghreb et résolution des conflits : état des lieux et perspectives pour sortir de l’impasse ». Le terme Sahara occidental n’apparaît pas, mais c’est bien de cela dont il s’agit. À la tribune, les intervenants font preuve d’un grand doigté. L’économiste marocain Raymond Benhaim, deux fois condamné par contumace pour son engagement pro-sahraoui, souligne l’état de blocage de la négociation entre États (Maroc-Algérie et leurs soutiens), Bernard Dréano (Ipam, France) fait des rapprochements avec le cas instructif des conflits territoriaux du Nord Mali, de la Nouvelle Calédonie et du Kurdistan turc. « Il n’y a plus de temps à perdre » , insiste l’universitaire franco-tunisienne Khadija Mohsen-Finan, notamment en raison du risque de recrutement par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf (frontière algéro-marocaine). Le Français Gus Massiah enfin, membre du conseil international du FSM, expose le sens d’un tel débat dans cette enceinte : « Les sociétés civiles deviennent des acteurs des négociations, on ne peut plus inventer des solutions sans leur adhésion. » Le Forum social mondial, par sa culture de la diversité et l’absence de « chefs », est une chance pour faire évoluer les esprits sur le conflit du Sahara occidental.
La frustration sera à la hauteur de la qualité pressentie du débat : une trentaine d’Algériens (« gouvernementaux », répètent plusieurs de leurs compatriotes atterrés) prend d’assaut l’estrade en vociférant. Re-drapeaux, slogans (« Le Sahara aux Sahraouis »), chaises brisées. Dix minutes plus tard, évacuation de l’amphi sous protection du service d’ordre du forum. Visages catastrophés dans le public, et c’est quand même une vraie note positive, relève sans ironie un participant : « Il y avait là plus de monde que jamais pour parler de ce conflit. Une fois qu’on aura réglé le cas de ces débordements d’un autre âge, on pourra peut-être enfin discuter sur le fond et sur les compromis possibles. »

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