Le #PJL Renseignement au Sénat

Christine Tréguier  • 3 juin 2015
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C’est l’avant-dernière ligne droite pour le projet de loi sur le renseignement (#PJL Renseignement). Sa lecture au Sénat a débuté le 2 juin et se poursuivra jusqu’au 9.
Il est au préalable passé entre les mains de la Commission des lois, qui y a apporté quelques modifications mineures. Le magazine en ligne Next InPact a, par exemple, relevé que l’article permettant d’obliger les opérateurs et les services en ligne à placer des sondes captant les activités en ligne d’internautes suspects a été réécrit. Un amendement précise que le recueil de données en temps réel peut être demandé non plus pour « des personnes » mais pour « une personne préalablement identifiée comme présentant une menace » et ce pour une durée de deux mois (au lieu de quatre) renouvelable. Pour Philippe Bas, président de cette commission et rapporteur du texte « il doit être clair, à la lecture de ce dispositif, que chaque personne fera l’objet d’une autorisation individuellement accordée » . La modification ne change fondamentalement rien, mais obligera les services à motiver chaque demande et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) à suivre chaque dossier individuellement.

Un autre amendement touche l’article obligeant les opérateurs et fournisseurs de services internet à déployer à la demande des algorithmes analysant les métadonnées de communication dans le but d’identifier des terroristes. Le principe d’une surveillance proactive massive est bien sûr maintenu. Sa finalité est juste un peu moins générale et restreint très légèrement le volume des données traitées. L’Assemblée prévoyait un dispositif pour « détecter une menace terroriste » ; l’amendement du Sénat parle, lui, de « détecter des communications susceptibles de révéler une menace terroriste » . Il récapitule dans le même alinéa le fait que les opérateurs devront mettre en œuvre sur leurs réseaux des « traitements automatisés » dont les paramètres devront être précisés dans la demande d’autorisation, et que les données récoltées seront limitées à celles définies dans cette autorisation. Il ajoute enfin que l’accès de la CNCTR « à ces traitements ainsi qu’aux informations et données recueillies » sera non seulement permanent mais direct.

Pour la CNIL, les modifications apportées à ce projet de loi restent insuffisantes. « Nous considérons que ce dispositif reste profondément déséquilibré » , a déclaré sa présidente, Isabelle Falque-Pierrotin, dans un entretien accordé au Monde . « Il y a un encadrement en amont de la collecte de ces données, mais il n’y a finalement aucun encadrement en aval de la manière dont ces données alimentent des fichiers de renseignement. » Les durées de conservation ont certes été réduites, mais ajoute-t-elle, « nous n’avons aucun moyen de vérifier que cette durée de conservation est respectée. Ni aucun moyen de vérifier que les IMSI-catchers [dispositifs de surveillance des communications par mobiles] *, qui sont prévus en nombre limité dans la loi, sont bien utilisés comme prévu. »*
Dans un article publié dans le Monde , le chercheur, écrivain et journaliste biélorusse Evgeny Morozov qualifie le dispositif de surveillance algorithmique de « système absolutiste, intolérant et arrogant » . Cette fouille des données pratiquée pendant des années par les agences américaines n’a, dit-il, aucune utilité : « Si la NSA avait eu, grâce à ce programme, un succès remarquable justifiant l’extension du Patriot Act, le grand public en aurait entendu parler. » À l’heure où le Congrès et le Sénat viennent de voter le Freedom Act, restreignant les possibilités de surveillance massive dont disposait la NSA, il trouve « choquant de voir la France avancer en sens inverse » .

Les opposants continuent à dénoncer un texte autorisant une surveillance de masse, sans contrôle des juges. Deux citoyens ont lancé le site usualsuspect.org/ qui invite les internautes à se photographier façon identité judiciaire et à diffuser leur photo sur les réseaux sociaux avec la mention #usualsuspect. Le site sous-surveillance.fr incite les sénateurs à donner leur position. La Quadrature du net propose une application pour les appeler gratuitement. Et une manifestation devrait avoir lieu avant le vote final au Sénat le 9 juin.

{{Sur le Web}} [L'entretien avec Isabelle Falque Pierrotin->http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/05/21/pour-la-cnil-le-projet-de-loi-sur-le-renseignement-reste-profondement-desequilibre_4637110_4408996.html] [L'article d'Evgueni Morozov->http://www.lemonde.fr/festival/article/2015/06/01/loi-sur-le-renseignement-un-systeme-absolutiste-intolerant-et-arrogant_4644750_4415198.html]
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