L’Europe vote pour un internet ouvert mais pas neutre

Christine Tréguier  • 29 octobre 2015
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Le vote du Parlement européen, qui vient de valider le projet de règlement européen des télécoms, était attendu depuis plus d’un an. Un premier texte basé sur le rapport de la députée Pilar Del Castillo, très favorable aux opérateurs, avait été adopté en avril 2014. Les parlementaires l’avaient alors fortement amendé pour y inscrire une protection forte de la neutralité du réseau. Une neutralité définie comme «  le principe selon lequel l’ensemble du trafic internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application  » et assortie d’encadrements stricts des exceptions à ce traitement égalitaire. Les défenseurs de la neutralité pensaient alors avoir gagné la partie. Mais le texte a évolué au cours de son parcours législatif et le projet présenté au vote le 27 octobre, résultat d’un compromis entre le Conseil, le Parlement et la Commission, est beaucoup moins clair et offre des brèches

La définition et la mention même de « neutralité du réseau » a disparu, même si les termes de la définition ont été repris dans l’article 3 paragraphe 3 définissant l’obligation des fournisseurs d’accès. Ce même article, libellé « Protection d’un accès à un internet ouvert », les autorise également à mettre en oeuvre des «  mesures de gestion de trafic raisonnables   » prises en fonction des «  différentes exigences techniques de qualité de service pour des catégories de trafic spécifiques  ». Au delà du flou de la formulation, la question qui se posera est de savoir qui aura les moyens de contrôler lesdites mesures.

Le paragraphe 5 stipule que les fournisseurs de communications électroniques au public doivent pouvoir offrir des services optimisés pour des contenus, applications ou services spécifiques nécessitant un niveau de qualité spécifique. Seule condition posée que ces contenus diffèrent de ceux proposés sur internet et qu’ils ne ralentissent pas l’accès ou la qualité de ceux-ci. Pour Tim Berners Lee, père du World wide web, cette proposition ne vise qu’à «  permettre aux fournisseurs d’accès de créer des voies rapides pour des entreprises qui paieront pour que leurs contenus se chargent plus vite en les appelant « services spécialisés  ».

Autre point qui fâche les défenseurs de la neutralité, la possibilité pour les opérateurs mobiles d’offrir des services « zero rating » autrement dit dont les temps d’accès ne seront pas décomptés du forfait. Une autre manière, économique et non plus technique, de transgresser l’accès égalitaire à tous les contenus.

Pour la Quadrature du Net ce texte est un recul majeur pour l’internet libre. «  L’absence de définition claire de la neutralité du Net, laisse une marge de manœuvre non négligeable au régulateur européen pour établir les lignes directrices applicables dans les États membres.  » Le Berec (organe des régulateurs européens des communications électroniques) aura à charge de définir les modalités pratiques d’application et de contrôle de ces mesures, et ni le citoyen ni le législateur ne pourront intervenir dans ses choix. Les défenseurs de la neutralité demandent donc des négociations transparentes : «  Les régulateurs doivent élaborer sans tarder des règles claires fixant solidement les principes de la neutralité du Net, et se donner les moyens de les appliquer sans faiblesse, afin de pallier les carences du texte voté aujourd’hui. Le risque est grand qu’ils laissent un boulevard aux entreprises de télécommunications pour abuser de leurs positions dominantes.  »

{{Sur le web}} [Le site Save The Internet ->https://savetheinternet.eu/fr/] [Une vidéo (en anglais) expliquant les enjeux->https://youtu.be/g6fXpo8uQtA]
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