Vous avez dit violence ?

Christine Tréguier  • 15 octobre 2015
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Tout le monde a encore dans l’oeil ces images de la sortie du comité central d’entreprise (CCE) d’Air France. Elles ont été diffusées en boucle par tous les médias français et ont fait la Une de nombreux quotidiens internationaux. On y voyait deux dirigeants de la société, le directeur des relations humaines et le responsable de l’activité long courrier, se faire sérieusement bousculer par des grévistes très en colère et se faire arracher veste et chemise sous de copieuses huées. Les faits, qualifiés de « violences inacceptables » devant donner lieu à de « lourdes sanctions » ont été dénoncés par le premier ministre et une bonne partie de la classe politique. Plaintes en rafale, enquêtes expresses, examen minutieux des images de vidéosurveillance et de celles tournées par la presse, moins d’une semaine plus tard cinq manifestants ont été appréhendés sans ménagement à l’aube à leur domicile et après une garde à vue de trente heures inculpés pour « violences en réunion ».

Les motifs de la colère des salariés sont connus : le CCE a validé un nouveau plan de restructuration qui prévoit réduction de fréquence de lignes et suppression de 2 900 postes. Une autre vidéo montrant une hôtesse tentant un impossible dialogue avec les dirigeants témoigne du désarroi des personnels face à ce nouveau plan. «  Ca fait quatre ans que nos salaires n’ont pas évolués, explique-t-elle à des cadres qui l’ignorent ostensiblement. Nous, on les a fait les efforts, quatre ans sans rien et c’est nous qui trinquons   ». Ces images traduisent une autre violence, celle du non dialogue, du mépris des chefs pour les subalternes. Une violence de classe qui ne légitime pas les débordements mais les replacent dans leur contexte. Les salariés jetables ne veulent plus être jetés au nom de la rentabilité, et lorsque quelques uns dérapent, ils mettent leurs supérieurs dans l’état dans lequel ils se sentent : à poil. Il n’y a pas de coups, pas de sang, juste des vêtements arrachés. Ce ne sont pas tant les faits qui ont choqué la classe politique, que les images de ces deux hommes apeurés et elles choquent essentiellement parce qu’on sait que ce sont des patrons.

D’autres violences, plus discrètes et plus durables, ont lieu dans Paris. Comme par exemple celles que subit depuis un mois et demi le cirque Romanès. Elles ne font pas la une des médias et ne suscitent aucun commentaire chez les politiques. Ce petit cirque familial tzigane, installé à Paris depuis 1993, a du quitter la Porte Champerret et la Mairie de Paris a décidé de l’installer sur une partie non aménagée du square Parodi, entre Porte Maillot et Porte Dauphine. Mais leur présence dans le XVIème arrondissement semble déplaire. Deux associations locales harcèlent la mairie pour obtenir leur départ, estimant que leur implantation dégrade un espace vert classé. Et surtout, le campement fait régulièrement l’objet de dégradations et de vols. Portes et fenêtres des caravanes fracturées, arrivée d’eau et câbles électriques arrachés, boitier internet incendié, costumes, instrument et photos volés. « On ne sait pas qui c’est, a confié Alexandre Romanès au Parisien, l’autre jour, j’ai réussi à en choper un. Avant de s’enfuir, il m’a dit : On me paye pour vous embêter  ».

Au début Alexandre et sa femme Délia ont préféré ne rien dire, mais les violences se répétant ils ont alerté la mairie de Paris et parlé à quelques journalistes. Pour eux ce qui motive ces gestes est bien le fait qu’ils soient tziganes. Depuis… rien ou pas grand chose ne s’est passé. Aucun politique n’a pris la parole pour dénoncer des actes racistes, aucun ministre n’a demandé à ce qu’on attrape et punisse lourdement les coupables. Et pour autant que l’on sache personne n’a été voir si, du côté de la Porte Maillot, une caméra n’aurait pas enregistré des mouvements suspects. Ces violences là ne choquent pas, elle reste de l’ordre du fait divers.

{{Sur le web }} [Un appel à soutien pour le cirque Romanès sur Mediapart->http://blogs.mediapart.fr/edition/roms-et-qui-dautre/article/121015/appel-de-soutien-au-cirque-tzigane-romanes]
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