L’urgence oui, mais quelle urgence ?

Christine Tréguier  • 19 novembre 2015
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Après les sanglants attentats de Paris il y a en effet urgence. Urgence à désamorcer la haine qui fait le lit du jihadisme. Urgence à admettre que certaines de nos guerres et de nos ingérences ont alimenté haine et sentiment d’injustice. Urgence à dire, avec tous les musulmans, que leur religion, l’islam, ne prône en aucun cas de tels actes et que ceux qui le prétendent sont des fous avides d’asservir les autres à un pouvoir aussi totalitaire et névrotique que le furent le nazisme ou le stalinisme. Urgence bien sur aussi d’assécher les ressources de l’Etat islamique, d’arrêter ses meneurs et de débusquer les apprentis terroristes qui se cachent dans nos villes. Mais pas n’importe comment et pas à n’importe quel prix.

Certes il fallait rassurer les français, mais le gouvernement a-t-il fait le bon choix en optant pour un discours guerrier, assez proche de celui de Georges W. Bush au lendemain du 11 septembre, qui donne de fait aux kamikazes une importance et une reconnaissance dont ils peuvent se glorifier pour recruter à nouveau. Fallait-il décréter l’état d’urgence ? Pour quinze jours afin de limiter les rassemblements et donc les récidives et d’accélérer les recherches, peut-être. Faut-il le prolonger pour trois mois ? Rien n’est moins sur. Mais embarqué dans sa rhétorique guerrière, le gouvernement peut maintenant difficilement reculer et on peut se demander si dans trois mois il pourra, sans avoir gagné une guerre qui sera vraisemblablement beaucoup plus longue, trouver les arguments pour y mettre un terme.

La vieille loi de 1955 qui permet de décréter l’état d’urgence nécessite une autre loi pour le proroger. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ont donc fait rédiger – dans l’urgence – un court projet de loi (quatre articles principaux) qui va également quelque peu actualiser la précédente. Il va être voté en procédure accélérée par les deux chambres d’ici la fin de la semaine. Bonne nouvelle, le texte exclut la censure de la presse et des spectacles qui figuraient dans la loi de 1955. L’article clé est l’article 4 qui aménage l’assignation à résidence. Celle visait jadis toute personne dont «  l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics  ». Elle pourra désormais être prononcée par le premier ministre à l’encontre de toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics  ». Elle pourra être assortie de plages horaires durant lesquelles l’individu ne devra pas sortir de chez lui, d’une obligation à se présenter au maximum trois fois par jour aux services de police, d’une confiscation de son passeport, et d’une «  interdiction de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, elles aussi suspectées de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics   ». Si par relation « indirecte » on entend relation par téléphone ou par mail, on voit mal comment empêcher toute communication, si ce n’est en établissant des listes noires d’individus interdits d’abonnement chez les opérateurs… et en le fouillant avant qu’il rentre chez lui pour s’assurer qu’il n’a pas dans la poche le smartphone d’un ami ou une puce prépayée.

L’article 4 prévoit également la possibilité pour les autorités administratives «  d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit   » et de copier toutes les données informatiques trouvées dans les ordinateurs présents dans les lieux ou accessibles via celui-ci. Contrairement à la première mouture de la loi sur le Renseignement, le texte prend soin d’exclure de ces perquisitions tout lieu «  affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes  ».

Quelques rares voix s’élèvent contre l’actuelle réponse de l’état aux attentats de Paris.
Pour le Syndicat de la Magistrature «  lutter contre le terrorisme, c’est d’abord protéger nos libertés et nos institutions démocratiques en refusant de céder à la peur et à la spirale guerrière. Et rappeler que l’Etat de droit n’est pas l’Etat impuissant.   ». Invité sur France Inter, Me Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’homme, s’est interrogé sur la nécessité de faire des lois d’exceptions dans l’émotion. «  Ce qui me préoccupe ce n’est pas qu’il y ait des perquisitions nombreuses à domicile faites par des policiers, c’est que nous sommes dans un état qui doit durer 12 jours, ça me paraît concevable, mais qui doit être prolongé trois mois. Ca m’inquiète parce que c’est une suspension des libertés. On parle de la Constitution, elle fait de l’autorité judiciaire la gardienne des libertés, or l’état d’urgence c’est la suspension de l’autorité judiciaire […] c’est en quelque sorte une dépossession de l’autorité judiciaire pour la donner à la police […] Je voudrais que les gens comprennent que l’état d’urgence, quand il se prolonge dans le temps, ce n’est pas rien […] Si on recule sur les libertés publiques, ils ont gagné.  »

{{Sur le web }} [Le texte du projet de loi->http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl3225.asp]
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