Vers une surveillance internationale massive

Christine Tréguier  • 5 novembre 2015
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En juillet dernier le Conseil constitutionnel, saisi sur la loi sur le Renseignement, avait censuré trois articles, dont un concernait la surveillance internationale. Les sages avaient estimé que l’encadrement de cette surveillance devait être précisé dans la loi et non traité dans des décrets. Le gouvernement s’est donc empressé de rédiger une nouvelle proposition de loi. Déposée par les députés PS Patricia Adam et Philippe Nauche et agrémentée d’une procédure d’urgence, elle a été soumise au vote de l’Assemblée le 1er octobre et du Sénat le 27 octobre.

Le texte ne contient que deux articles dont la discussion a été expédiée en deux petites heures par une poignée de huit députés, et en à peine plus par à peine trente sénateurs. Son champ d’application est défini dans le tout premier paragraphe de l’article 1 : «  Peut être autorisée, aux seules fins de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3, la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger.   » Par «  communications émises ou reçues de l’étranger  » on entend tout échange électronique entre deux personnes étrangères, ou entre une personne disposant d’un identifiant national et une autre disposant d’un identifiant, une adresse IP par exemple, relevant d’un autre territoire. Ces échanges incluent les données de connexion, mais aussi la « correspondance » autrement dit les contenus des appels et des mails.

Si les renseignements collectés appartiennent à deux français, ils devront être instantanément détruits, mais le texte prévoit néanmoins des exceptions si ces personnes «  faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité […] à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national   » ou si elles «  sont identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation   ».

Ce qui inquiète le plus les opposants d’hier au projet de loi sur le renseignement, c’est que c’est le premier ministre (ou un de ses délégués) qui a la haute main sur tout le dispositif. C’est lui qui étudie les demandes des ministres et accorde les autorisations précisant les finalités de la surveillance, les motifs la justifiant, les réseaux de communications électroniques visés et les services spécialisés de renseignement qui en sont chargés. Il peut également autoriser la « mise sur écoute » de zones géographiques, d’organisations, de personnes ou de groupes de personnes, ou encore prescrire (pour une durée d’un an renouvelable) des traitements automatisés pour une « exploitation non-individualisée » des données. Comprenez le recours aux fameuses « boites noires » permettant de détecter des menaces terroristes potentielles. Sauf que dans le contexte international, les boites noires peuvent être mises en oeuvre pour défendre les intérêts fondamentaux de l’état tels que définis dans la loi sur le Renseignement, ce qui inclut aussi bien le terrorisme et les menaces nucléaires que le crime, la délinquance et les intérêts de politique étrangère ou économiques, industriels et scientifiques majeurs. Les durées de conservation des données sont également plus longues.

Pour Sergio Coronado, député vert qui a défendu plusieurs amendements « ce texte vise une collecte de masse – c’est le terme – de toutes les communications internationales, y compris celles émises ou reçues à l’étranger. Cela implique une collecte par défaut des communications entre les personnes dont les identifiants sont rattachables au territoire national, mais dont les communications passent par l’étranger, via des serveurs qui sont, vous le savez, installés hors de nos frontières comme Google, Hotmail, Skype ou encore WhatsApp   ».

Les inquiétudes des opposants sont d’autant plus fortes que la toute nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, déjà considérée comme un maigre rempart, ne pourra dire son mot qu’a posteriori. Elle sera informée au maximum dans les sept jours des autorisations délivrées par le premier ministre, aura accès aux renseignements collectés et aux transcriptions, pourra contrôler les dispositifs techniques. Mais en cas de dysfonctionnement elle ne pourra que «  adresser au Premier ministre une recommandation tendant à ce que le manquement cesse et que les renseignements collectés soient, le cas échéant, détruits   ». Et si celui-ci ne donne pas suite, elle pourra transmettre le dossier au Conseil d’Etat.

Seuls les groupes vert et communiste ont voté contre ce texte grâce auquel la France s’autorise à faire ce qu’elle dénonce du bout des lèvres lorsqu’il s’agit des services américains ou britanniques : surveiller à son aise les communications internationales. Pour La Quadrature du Net «  un tel dispositif de surveillance de masse participe de la course à l’espionnage mondial, et fait de la France un pays ennemi des libertés fondamentales. S’il semble clair que cette loi est une simple légalisation des pratiques secrètes mises en œuvre depuis 2008, alors il est plus que temps que l’opinion publique et les représentants de la Nation donnent clairement leur avis sur cette course à l’armement du XXIe siècle que représentent l’espionnage et la surveillance de masse « .

{{Sur le web :}} [ Le projet de loi présenté au Sénat->http://www.senat.fr/leg/ppl15-006.html] [L'explication de texte de Next Inpact->http://www.nextinpact.com/news/97032-on-vous-explique-proposition-loi-sur-surveillance-internationale.htm]
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