Revenir à l’état de droit

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) vient de saisir le Conseil d’Etat d’un référé-liberté demandant la suspension de l’état d’urgence en tout ou partie.

Christine Tréguier  • 25 janvier 2016
Partager :

« La LDH n’entend nullement contester l’importance cruciale de la lutte contre le terrorisme mais elle sollicite toutefois, de la plus haute juridiction administrative française, plus de deux mois après la mise en œuvre de l’état d’urgence, qu’elle suspende tout ou partie de ce régime d’exception ou, à tout le moins, qu’il soit enjoint au président de la République de procéder à un réexamen des circonstances de fait et de droit qui ont conduit à sa mise en œuvre » peut-on lire dans le communiqué publié le 20 janvier. L’association souligne qu’en novembre le premier ministre lui-même avait présenté l’état d’urgence comme « une réponse à court terme » et une mesure permettant aux autorités « d’aller vite pour démanteler les groupes susceptibles d’agir et pour neutraliser les individus au comportement menaçant »

« L’état d’urgence a servi, il sert beaucoup moins et le juge doit être l’arbitre de la nécessité du maintien de l’état d’urgence qui porte atteinte aux libertés fondamentales de tous les citoyens » a expliqué Me Patrice Spinosi, l’avocat de la LDH, sur France Info. Ces atteintes sont détaillées dans le document accompagnant le référé : droit au respect de la vie privée et familiale, liberté d’aller et venir ou encore liberté de travailler. Ces entorses aux libertés de peuvent être qu’exceptionnelles et temporaires. Selon le termes de la loi de 1955, modifiée le 20 novembre 2015, elles ne peuvent être prises qu’ « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Pour Me Spinosi nous sommes en présence aujourd’hui d’ « un état d’urgence de confort » qui n’est plus justifié par des menaces imminentes. Il s’appuie également sur le second bilan publié le 13 janvier par la Commission des lois de l’Assemblée nationale chargée du contrôle de l’état d’urgence, pour démontrer qu’il n’ets plus nécessaire. En ce qui concerne la mesure la plus utilisée, la perquisition administrative, le rapport totalise 3021 opérations, mais relève aussi que plus d’un tiers ont eu lieu la première semaine suivant les attentats, plus de la moitié dans les 15 jours et qu’une moitié ne visait pas des cibles directement liées au terrorisme. D’autres mesures, comme le blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme, ou la fermeture de mosquées radicalisées, ne requièrent que l’application de lois existantes. La conclusion de ce bilan semble indiquer clairement l’avis de la Commission : « Arrêter l’état d’urgence ne sera pas synonyme de moindre protection, car en réalité l’essentiel de ce quee l’on pouvait attendre de ces mesures semble, à présent, derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les objectifs avaient été traités. De fait l’effet de surprise s’est largement estompé et les personnes concernées se sont pleinement préparées elles aussi à faire face à d’éventuelles mesures administratives. Ces phénomènes d’extinction progressive de l’intérêt des mesures de police administrative se lisent d’ailleurs dans les chiffres, qui montrent bien plus qu’un essouflement. »

François Hollande s’est lui déclaré en faveur d’une prolongation de l’état d’urgence et Manuel Valls a expliqué qu’il n’était pas question d’en sortir tant qu’on n’aurait pas éliminé Daesh. Un conseiller du président, cité par Europe 1 aurait dit « imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… ». Avec de tels arguments on est bon pour l’urgence à perpétuité. La LDH ne dit pas autre chose. Pour Me Spinosi, fonder son maintien sur la seule existence d’une menace terroriste globale n’est pas prévu par la loi et équivaudrait à autoriser la mise en place d’un régime d’exception perpétuel signant la fin de l’Etat de droit. On saura le 26 janvier si le Conseil d’Etat donne droit à ses demandes.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don