FBI contre Apple : le bras de fer continue

La tension continue à monter entre le FBI et Apple. La firme à la pomme refusant de lui fournir le code nécessaire au déverrouillage d’un iPhone, les services fédéraux menacent maintenant d’exiger le code source de son système d’exploitation.

Christine Tréguier  • 14 mars 2016
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FBI contre Apple : le bras de fer continue

A l’origine de cette affaire, la fusillade dans un centre social de San Bernardino (Californie) en décembre dernier et un iPhone appartenant à l’un des deux tueurs aujourd’hui décédés. Apple permet à ses utilisateurs d’encrypter les données de leur téléphone; celles-ci ne sont ensuite accessibles que via un code à quatre chiffres qu’eux seuls détiennent, et au bout de quelques tentatives infructueuses pour trouver ce code, elles s’effacent automatiquement. Afin d’accéder au contenu, le FBI a donc enjoint à la firme, qui ne dispose pas non plus du précieux sésame, de lui fournir le programme nécessaire. Un tribunal de Californie a délivré une ordonnance en ce sens, mais mi-février Apple a contre attaqué en faisant appel de cette décision. Son PDG Tim Cook a publié sur le net une lettre ouverte explicitant les raisons de ce refus : « Le FBI veut que nous fassions une nouvelle version du système d’exploitation du iPhone contournant plusieurs dispositifs de sécurité importants et que nous l’installions sur un iPhone récupéré lors de l’enquête. Mis entre de mauvaises mains, ce programme – qui n’existe pas aujourd’hui – aurait la capacité de déverrouiller n’importe quel iPhone en possession physique de quelqu’un. Le FBI peut utiliser différents termes pour décrire cet outil, ne vous y trompez pas : développer une version d’iOS qui transgresse ainsi la sécurité créerait une porte dérobée. Et le gouvernement a beau affirmer que son usage sera limité à ce cas précis, il est impossible de garantir que ce soit le cas. »

Le souci premier d’Apple est de ne pas compromettre l’un de ses arguments de vente, le cryptage des iPhones qui, une fois activé, ne peut être déverrouillé que par leurs propriétaires. Ecrire ce bout de programme équivaudrait à ouvrir la boite de Pandore et risquerait de générer une avalanche de requêtes de la part des services. Ce n’est pas la première fois que le FBI formule une telle demande en s’appuyant sur la loi de 1789 dite « All Writs Act ». Celle-ci permet aux forces de l’ordre d’exiger la collaboration d’une personne physique ou d’une entreprise dans la collecte de preuves et la résolution d’une enquête, à condition de ne pas mettre en danger sa vie ou son activité commerciale. Il existe une bonne demi-douzaine de demandes similaires auxquelles Apple a refusé de répondre. Un juge de New York lui a donné raison en février dernier dans une autre affaire impliquant des trafiquants de drogue. Pour lui, cette interprétation de la loi par le gouvernement va beaucoup trop loin : « si Apple peut être forcé à écrire un code pour contourner dans cette affaire les mesures de sécurité et créer une nouvelle accessibilité, qu’est-ce qui empêchera le gouvernement de demander qu’Apple écrive du code pour activer le microphone afin d’aider à la surveillance, activer la caméra vidéo, enregistrer furtivement les conversations ou activer les services de géolocalisation pour traquer la position de l’utilisateur ? Rien ».

Dès que l’affaire a été rendue publique, Apple a reçu le soutien des associations de défense des libertés comme l’ACLU, l’Electronic Frontier Foundation, Privacy International et Human Rights Watch et de la plupart des grands acteurs du net. Google, Facebook, Twitter, Microsoft, Mozilla, WhatsApp, LinkedIn, Snapchat qui, comme Apple, ont investi dans la sécurisation de leurs produits et la protection de la vie privée après les révélations d’Edward Snowden, ont transmis des documents (amicus curiae brief) au tribunal pour bien souligner toute l’importance des enjeux.

Le FBI, lui, vient de remettre au juge un document dans lequel il défend le fondement légal de sa demande : il s’agit d’une affaire de terrorisme et si Apple peut déchiffrer le contenu du téléphone, il doit le faire. Si on en croit le Bureau, cela ne demandera que quelques jours de travail à une poignée de développeurs, le code ne fonctionnera que pour le téléphone désigné et restera la propriété d’Apple. Et si Apple refuse, ajoute-t-il dans une note de bas de page, il existe une alternative qui est d’exiger que la firme lui communique le code source de son système pour que d’autres développeurs se charge de régler le problème. Le Bureau fédéral a reçu le soutien de Barack Obama qui a préché pour « un système de chiffrement aussi fort que possible, à la clé aussi sécurisée que possible, mais accessible à un tout petit nombre de personnes, pour des problèmes précis et importants ». Edward Snowden s’est inquiété de ces paroles lors d’une visioconférence, rappelant que les experts en sécurité sont tous d’accord sur le fait qu’une bonne technique de protection est incompatible avec un accès restreint à un petit nombre de personnes. Pour lui il ne s’agit pas d’opposer sécurité et vie privée, mais d’offrir les deux car il ne peut y avoir de sécurité sans vie privée.

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