Nos ancêtres les indigènes

La polémique suscitée par la déclaration de Nicolas Sarkozy sur nos ancêtres les Gaulois est symptomatique de ce faux problème prisé par nos politiciens et nos médias à l’aube de l’élection présidentielle. La « bataille culturelle et identitaire », comme la désirait Manuel Valls en avril dernier, a donc commencé. En dehors du fait que ce thème ne soit qu’une diversion populiste pour ne pas traiter des problèmes socio-économiques, il implique une mise au pas des enseignants

Jean-Riad Kechaou  • 29 septembre 2016
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Nos ancêtres les indigènes
© Ministère de la Culture / Médiathèque du Patrimoine, Paul Castelnau (1880-1944) Des militaires sénégalais à Saint-Ulrich (Haut-Rhin), le 16 juin 1917.

À écouter notamment les candidats de la primaire à droite, le professeur d’histoire que je suis sera donc assigné à un rôle de propagandiste dans un futur proche. Ils peuvent toujours rêver, notre métier n’étant pas de fabriquer des patriotes nourris d’un roman national idéalisé. Citer un peuple plutôt qu’un autre auquel devrait se référer la nation française est stupide. N’allons pas chercher des ancêtres communs, c’est peine perdue. Des Celtes envahis par des Romains, germains, scandinaves, hongrois, berbères suivis des vagues migratoires, ça ne donne pas un peuple uni autour d’une souche génétique commune. Le peuple français, c’est un ensemble d’individus de divers horizons partageant des valeurs inscrites sur le fronton des mairies françaises. Voilà la vraie bataille à mener, celle pour la liberté, l’égalité et la fraternité, le reste n’est que diversion.

« Nos mahométans sont des Français avant tout »

Cette semaine, je suis parti visiter le musée de la Grande Guerre de Meaux avec mes élèves de troisième. Un beau musée. De nombreux élèves du groupe sous ma responsabilité étaient issus des anciennes colonies françaises, Algérie, Maroc, Sénégal mais aussi Indochine. Ils ont découvert avec intérêt les différentes tenues portées par les soldats des troupes coloniales mais aussi des photographies de ces combattants des pays d’où sont originaires leurs ancêtres.

Les affiches de propagande et des unes de journaux ont aussi attiré notre attention. Sur la une du journal Le miroir, la fidélité à la patrie des soldats maghrébins était mise en avant malgré le fait qu’ils soient « mahométans ». On redoutait en effet qu’ils préfèrent combattre du côté des ottomans, musulmans comme eux et alliés des Allemands. Sur cette une donc, des tirailleurs marocains posent à côté de leurs trophées : des drapeaux ottoman et allemand. Le journal titre « Nos mahométans sont Français avant tout ». En 1915, on ne se demandait pas si les valeurs des musulmans étaient compatibles avec celles de la République. Le contexte, certainement…

© Politis
Une de l’hebdomadaire photographique « Le miroir » du 30 mai 1915. Musée de la grande guerre de Meaux.

Sur une autre affiche, on célébrait le courage des troupes coloniales d’Afrique avec l’inscription arabe suivante : « Fi Sabil al Haq mâa al Franssa » ( Pour la vérité avec la France )

© Politis
Affiche sur la journée de l’armée d’Afrique et des troupes coloniales réalisée par Charles Fouqueray (1872-1956), 1917, imprimée par Lapina, Paris. Musée de la grande guerre de Meaux.

Un élève me fit une remarque intéressante : « Monsieur, ces arabes qui combattent pour la France, ce sont des harkis ? » Je lui répondis par la négative en lui expliquant qu’environ 550 000 soldats de ces colonies avaient combattu pour la France contre l’Allemagne. Le cours sur la décolonisation de l’Algérie aura lieu dans quelques mois et il sera indispensable pour éviter ce genre d’anachronisme et casser aussi certaines représentations.

Dans l’ensemble, ces élèves étaient plutôt fiers de voir « leurs ancêtres » mis ainsi en valeur même s’il s’agissait de propagande visant à recruter des indigènes mais aussi à les faire accepter par le reste des troupes françaises. Oui, les ancêtres de ces gamins de troisième génération ne sont pas gaulois comme la majorité de la population française du reste. Mais ce sont ces élèves qui sont ciblés par ce pseudo débat sur l’identité nationale, surtout ceux dont les grands-parents ont émigré du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Encore plus s’ils sont musulmans et banlieusards, une triple peine.

« Savoir d’où on vient et pourquoi on est là… »

On serait donc censé les rendre fiers d’appartenir à la nation française en évoquant prioritairement les racines blanches et chrétiennes de notre pays, les épisodes glorieux de notre histoire et en cherchant à les assimiler. On ne créera pas un sentiment d’appartenance national de cette manière dans nos banlieues vu que ce sont ses habitants qui sont montrés du doigt.

Le « blanchiment de l’histoire » a pourtant déjà commencé sous les coups de butoir répétés des réactionnaires. Exit des nouveaux programmes l’histoire des civilisations africaines en cinquième ou l’histoire de l’immigration au 20ème siècle en troisième. Quant à la décolonisation, on peut traiter au choix de l’Inde britannique ou de l’Algérie française en troisième et ainsi laisser de côté une guerre qui déchaîne encore les passions. Cette possibilité donnée aux enseignants de zapper la guerre d’Algérie trouve peut-être son origine dans la loi mémorielle du 23 février 2005 demandant aux programmes scolaires de mettre en avant les côtés positifs de la colonisation.

Ces adolescents ont pourtant besoin de savoir d’où ils viennent et pourquoi ils sont là pour adhérer à la nation française. Nous devons aussi regarder notre histoire d’une manière apaisée en soulignant ses avancées mais en reconnaissant aussi sa part d’ombre. L’absolutisme de Louis XIV, l’esclavage, les guerres sanglantes de Napoléon, la colonisation puis la décolonisation, Vichy, tous ces sujets font partie de notre histoire et nous ne pouvons pas les ignorer. Il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants à « avoir honte » de la France comme le pense François Fillon mais de comprendre que notre République est l’aboutissement d’une histoire complexe ce qui contribue au développement de l’esprit critique de nos élèves.

Nos ancêtres les tirailleurs africains ont été malmenés…

Quelques jours après sa déclaration polémique, Nicolas Sarkozy déclarait en fin politicien que « nos ancêtres étaient [aussi] les troupes coloniales mortes au chemin des Dames lors de la première guerre mondiale, les tirailleurs musulmans morts à Monte Cassino ». Facile. Après avoir lancé une déclaration aussi réductrice pour marcher sur les plates-bandes du Front national, ce complément à son propos initial, hypocrite, ne piège personne. Oui, nos ancêtres communs sont ceux qui défendent les valeurs de la République comme les troupes coloniales mais quand on leur rend hommage, il faut aussi accepter l’ensemble de leur histoire. Idéaliser notre histoire en mettant de côté ses égarements pour que nos élèves soient fiers de notre pays serait une grave erreur.

Au lieu de pointer l’héroïsme de ces soldats par calcul, il devrait donc apprendre la manière dont ces hommes ont été enrôlés et comment la France les a considérés par la suite. Ces Africains qui ont quitté leurs terres étaient avant tout des indigènes, des sous-citoyens et ils n’avaient pas le choix. Pour la première guerre mondiale, il y a même eu des révoltes contre la conscription en Afrique et on évoque des rapts comme au temps de la traite négrière. Concernant la seconde guerre mondiale, il a fallu attendre 2006 et la sortie du film Indigènes de Rachid Bouchareb pour que Jacques Chirac harmonise les pensions des anciens combattants coloniaux.

Fait peu glorieux pour la France, à la fin de la seconde guerre mondiale, on a brutalement retiré environ 20 000 soldats noirs des zones de combats pour être « renvoyés au pays », une guerre gagnée sans eux. Les archives de l’armée française de 1944 parlent à l’époque de « blanchiment » ou de « blanchissement » de l’armée.

Lors de la libération de Paris en août 1944 par exemple, un seul soldat noir faisait partie de la deuxième division blindée de Leclerc. On évoque une demande de l’État-major américain qui pratiquait encore la ségrégation raciale dans son armée.

La première armée française du général De Lattre de Tassigny a aussi été « blanchie » à l’automne 1944 après le débarquement en Provence. Raison invoquée à l’époque par les autorités militaires : le froid de l’hiver 1944 trop dur à supporter pour ces soldats… La réalité est bien différente comme le montre si bien le documentaire de France 3 diffusé au début de l’été : volonté du général de Gaulle de montrer que les Français se sont libérés par eux-mêmes ; nécessité d’amalgamer les résistants à l’armée française ; restriction du matériel ; peur du métissage avec les populations métropolitaines…

Les petits-enfants d’indigènes sont chez eux en France

Nul doute que le racisme est à l’origine de ce blanchiment des troupes coloniales. C’est ce même racisme qui a poussé il y a quatre mois la mairie de Verdun à annuler le concert du chanteur Black M pour les cérémonies du centenaire{: target= »_blank » style= »background-color: rgb(255, 255, 255); » } de la bataille. En dehors des attaques sur certains de ses textes, la fachosphère doutait que son grand-père Alpha Mamadou Diallo, tirailleur sénégalais, ait bien participé à la seconde guerre mondiale. Ils avaient tort bien sûr.

La chanson de Black M « Je suis chez moi » est une belle réponse à tous ces détracteurs, notamment Nicolas Sarkozy se félicitant lui aussi de l’annulation du concert d’un chanteur « qui a insulté la France ». Le candidat à la primaire des Républicains est donc prêt à glorifier ces soldats africains mais leurs petits-enfants nés en France, on n’en veut pas, trop contestataires, trop musulmans, pas assez assimilés !

Les ancêtres de cette jeunesse française stigmatisée étaient donc des indigènes.

Nombreux sont ceux qui ont participé aux guerres mondiales puis certains se sont retournés contre la métropole pour obtenir l’indépendance de leur pays. Enseigner cette histoire, comme toutes les autres, c’est envoyer un message fort à tous les élèves, peu importe leurs origines, car cette lutte des indigènes, c’est celle de tous les Français pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Voilà notre souche commune.

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