Politique d’incarcération : « Faisons moins, mais mieux »

Suite à la publication de deux rapports ministériels sur la surpopulation carcérale et la réforme de la justice pénale, une fédération d’associations rend public un contre-rapport qui met à plat le désastre pénitentiaire français et tente de trouver de vraies solutions pérennes pour en venir à bout.

Christine Tréguier  • 28 novembre 2016
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Politique d’incarcération : « Faisons moins, mais mieux »
Prison d'Angers. Photo : JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP.

En réponse au rapport sur l’encellulement individuel – « Pour en finir avec la surpopulation carcérale » -, publié en septembre par le ministre de la Justice et suivi d’un second rapport sur l’application de la loi Taubira du 15 août 2014, la Farapej (Fédération d’associations pour se former, réfléchir et agir sur la prison et la justice) a décidé de publier un contre-rapport. Intitulé « Dix propositions de la FARAPEJ pour un véritable plan d’action contre la surpopulation carcérale », il présente des propositions concrètes pour se donner les moyens de faire vraiment face à l’ampleur et à l’urgence des problèmes (et le terme est faible) que subissent aussi bien les détenus que les personnels des prisons françaises. 

Pour bien fixer la réalité du problème de la surpopulation carcérale en France, quelques chiffres en constante augmentation, mais plus encore en 2015/2016 : 

• 68 514 personnes sont actuellement détenues dont 19 615 prévenus 

• 2 751 détenus de plus en un an (depuis les attentats du Bataclan) ( + 4,2%), nombre encore en inflation ces derniers mois 

• 2 000 prévenus de plus en un an ( +10%) contre 748 condamnés de plus (+1,5%) 

• 14 161 détenus en surnombre, soit presque un quart de la population carcérale ( + 52 % sur un an), dont 1 430 n’ont pas de lit et dorment sur un matelas à même le sol 

• Un tiers de la population carcérale est détenu dans des prisons occupées à plus de 150 % ; la moitié dans des prisons occupées à plus de 130 % 

• le taux moyen d’occupation des maisons d’arrêt en Île-de-France est de plus de 166 % 

• Dernier chiffre pour le moins paradoxal : 4 123 places sont inoccupées (80 % en établissement pour peine et 20 % en maison d’arrêt) ! 

Cette forte inflation carcérale dure depuis 40 ans, souligne la Farapej, et depuis 25 ans les gouvernements successifs alignent des projets de construction qui aboutissent plutôt moins que plus. « C’est en s’interrogeant sur la place de la prison plutôt que sur le manque de places de prison qu’on pourra résoudre le problème à moyen terme, explique la fédération d’associations. Toute solution qui prévoirait la construction de prisons, sans s’attaquer à l’inflation carcérale ni engager une politique réductionniste, serait vouée à l’échec car elle s’attaquerait au symptôme et non aux causes du problème. » 

Pour la Farapej, la politique d’encellulement individuel ou les aménagements de peine sont bien entendu des pistes à suivre ; il faudra sans doute aussi construire de nouveaux établissements, mais la population carcérale n’est pas une donnée intangible à laquelle on doit s’adapter, c’est un facteur sur lequel on peut agir en modifiant la politique et le système pénal et en déterminant un objectif de baisse de la population carcérale planifié sur x années. Cette politique réductionniste déterminée s’appuie sur l’instauration d’un mécanisme de prévention de la surpopulation carcérale, sur la réduction des entrées, notamment par le développement des sanctions appliquées dans la communauté et sur la réduction des durées de détention, par le développement des aménagements et l’engagement d’une réflexion sur l’échelle des peines.

Le rapport développe dans les détails les dix propositions suivantes :

1) Changer de méthode : déterminer un plan d’action pluriannuel comportant un objectif chiffré de réduction de la population carcérale.

2) Développer l’outil statistique du ministère de la Justice pour permettre une meilleure connaissance de l’état de la surpopulation et de l’exécution des peines.

3) Mettre en place un mécanisme de prévention de la surpopulation carcérale de manière échelonnée.

4) Développer les sanctions appliquées dans la communauté : avoir pleinement recours à ces innovations pénales.

5) Limiter le recours à la détention provisoire.

6) Poursuivre le développement de mesures permettant d’éviter le recours aux courtes et très courtes peines de prison.

7) Faire de la sortie progressive et accompagnée la règle, et non l’exception.

8) Engager un débat de fond sur l’échelle et la nature des peines et le recours à la prison.

9) Définir la capacité des prisons en fonction de critères plus larges que la taille et le nombre de cellules.

10) Face à l’état alarmant de la surpopulation carcérale dans certaines prisons, mettre en place des mesures d’urgence visant à atténuer ses conséquences négatives sur la vie en détention.

Ces dernière mesures relèvent non seulement du simple bon sens pour pallier les dysfonctionnements mais certaines ne demandent que peu de moyens et pourraient déjà améliorer la vie quotidienne des détenus et des surveillants dans les prisons. Il suffirait par exemple d’étendre les horaires de parloir pour limiter l’impact de la surpopulation sur le maintien des liens avec familles ; d’élargir les horaires de promenade pour les personnes détenues ; de favoriser au maximum le temps passé en dehors de la cellule par le développement d’activités ou des promenades plus longues ; ou encore d’adapter l’accès au téléphone au nombre de personnes effectivement détenues dans l’établissement et non au nombre de places théoriques. On se demande ce qu’attend l’administration pénitentiaire pour les mettre en oeuvre.

Le contre-rapport complet de la Farapej.

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