Un Manifeste contre les bouffeurs de données

Inédit – Un groupe de militants a publié le 6 novembre un manifeste pour la prévention de la collecte de données et en fournit des lectures publiques. Objectif : bloquer à la source l’aspiration des données personnelles en ne transmettant pas aux ogres qui s’en nourrissent ce précieux pétrole et développer des applications qui ne collectent pas de data pour, in fine, reconquérir sa liberté d’être sans surveillance constante. Il est signé les Oiseaux Plombiers… une variété de volatiles qui, espérons-le, est en voie d’apparition et fera d’un petit ruisseau une grande rivière.

Christine Tréguier  • 18 novembre 2016
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Un Manifeste contre les bouffeurs de données
© DR

Extraits traduits et réorganisés par une journaliste elle aussi à plumes, elle aussi plombier :

Le discours sur la vie privée s’est vaporisé. Il nous a mené dans l’impasse suivante : nous savons que nous sommes observés, tracés et pistés, mais nous prétendons que ça n’existe pas ou qu’il n’y a pas de quoi s’en faire. La question n’est pas de savoir quand le refoulé va revenir mais comment ? Les hackers ont proclamé que la vie privée était morte depuis des décennies, que tout peut être, et sera, capté, stocké et analysé. Et ils avaient raison. Alors que faire ?

Quelle est la meilleure façon de se protéger sinon, avant tout, d’éviter de transmettre des données ? C’est une entrave efficace pour empêcher les données d’exister. Comment organiser la dimension collective du « réseautage social » sans se retrouver agrégés dans d’énormes silos de données qui nous sont étrangers mais qui tirent pourtant profit de nous ? Comment pouvons-nous reconquérir une autonomie dans notre vie quotidienne ? Sachant que toutes sortes de capteurs, de robots-chercheurs et d’algorithmes sont à l’affût. Comment ces technologies peuvent-elles être ne serait-ce que déclassées ? Ne sommes-nous pas en train d’attendre le jour du Grand Soir, une nouvelle guerre mondiale, une cyber-attaque millénaire qui fasse tomber toute l’infrastructure, une mauvaise éruption solaire ou une inversion électromagnétique qui démolisse la matrice et efface tous les disques durs ? Ou bien sommes nous en train de nous endormir, anesthésiés à jamais, nous qui aurons accepté que tout ce que nous faisons, pensons, désirons puisse et soit stocké et utilisé, le cas échéant, contre nous ?


Nous devons aussi poser la question qui fâche. Les Adblocks, les filtres, les pare-feux, la lecture minutieuse des règles et conditions d’utilisation et les manifestations en ligne contre la collecte et la revente de données privées ne font qu’atténuer les problèmes. Allons droit au but, à quelle logique la « protection des données » [celle qui est habituellement préconisée et faisait jusqu’ici figure d’antidote, NDLR] participe-t-elle ? Est-ce, effectivement, la même logique que celle qu’elle cherche à démasquer et derrière laquelle elle se dissimule ? Pourquoi pensons-nous que la vie pourrait être informationalisée ? Quel désir alimente l’idée que le big data puisse se transformer en une vie connaissable, manipulable, jouable, anticipable, préemptable, capitalisable et contrôlable ? Sommes-nous en train de couver et de nourrir des licornes ou des Frankensteins ?

Voici notre credo : ne nourrissons pas les plateformes. Faisons du sabotage créatif, inventons des formes concrètes de prévention qui minent le régime du big data à tous les niveaux, du molaire au moléculaire. Prenons des mesures concrètes pour réduire globalement les datas. Arrêtons de nourrir les machines avides du Rapport Minoritaire qui sont programmées pour identifier des comportements erratiques émergents.

La prévention de la collecte de données est une réponse directe à la ville pyramidale intelligente, une prétendue « intelligence » qui ne fait que tenter de dissimuler le fait que ce sont des technologies d’espionnage. Elle n’est pas innocente et elle a une longue histoire : rappelons-nous l’opposition des natifs Indiens américains à ce qu’on prenne une photo d’eux, celle des punks dans les rues de Londres, boxant les photographes de mode qui marchandisaient leurs looks.

[…]

Nous devons arrêter de penser que les traces sont des choses que nous « laissons derrière nous » sans y faire attention. Non seulement cela légitime les filets dérivant, mais cela détourne l’attention des techniques agressives utilisées pour inspecter nos navigateurs, réseaux et outils. C’est pourquoi nous devons remodeler les modalités de production des données, et cesser de faire des parallèles entre les machines à processer et le cerveau humain, entre la data et la matière grise.

[…]

Nous lançons une campagne pour rassembler des idées sur la conception de produits et de services qui ne collecteraient pas de données. Il est important de dire adieu au postulat de la data « pétrole du 21ème siècle ». […] Nous voulons nous dissocier du côté sombre de la financiarisation des données. […] Nous interrogeons également l’aspect « forage » de la métaphore du « data mining ». Extraire des ressources est un crime environnemental dévastateur qui ruine notre planète, des nappes de sables bitumineux aux puits de charbon et aux mines de cobalt. Le forage ne va pas sans un coût très élevé. Méfiez vous des métaphores que vous employez !

Ted Hughes a un jour parlé d’un chapeau-grimace qui essayait les visages. Aujourd’hui c’est la peur qui teste toutes les capacités humaines, pour nous pousser à vivre une vie téléphonée et prévisible. Nous en sommes arrivés là car, génération après génération, des gens corrompus, faibles et envieux ont occupé le siège du pilote. On ne peut pas appeler cela une direction . Ces gens, disons globalement Bilderberg, Fortune 500 and MBA, ont facilité tout ce qui était « simple », externalisant tout ce qui était « difficile » vers des pays qui pouvaient être exploités. Aujourd’hui, de tels endroits n’existent plus. D’où le combat pour conquérir l’espace intérieur, la notion même de ce que signifie « être humain ».

Engageons-nous matériellement en faveur de l’énigmatique, de l’imparfait, du partial, de l’impur, du surprenant, du transgressif, du Cygne noir. Trompons-nous. Collectivement. Il ne s’agit pas de se cacher passivement mais d’agir. N’ayez pas peur, nous travaillerons avec vous et avec vos structures. Nous avons besoin d’évaluer l’éthique de la bureaucratie. Tous vos avoirs, comme vous dites, nous appartiennent, à nous, à personne, per-sonne. C’est à nous de faire en sorte que les choses marchent à nouveau sur la terre ferme. Ce n’est pas un mouvement de masse. Ça ne peut être fait que par ceux qui sont déjà sur cette route.

Nous pouvons renverser les choses. Il y a toujours eu et il y aura toujours abondance de données. Libérons-nous de la perspective de nous enfermer nous-mêmes dans des monastères volontaires et autres structures sociales aux allures de groupuscules se regardant le nombril. Il n’y a pas à archiver les données, laissons-les se recycler toutes seules.

[…]

La Plateforme des Plombiers

Sur le web

Le Manifeste pour la prévention de la collecte des données

Une conférence (en anglais) sur la Prévention des données

Lecture d’une pré-version du Manifeste lors des BBA hollandais

Publié dans
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Temps de lecture : 5 minutes
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