La trumperie règne

Pendant les 8 premiers jours de la présidence DJT, une question a priori insignifiante a révélé l’ampleur du problème auquel l’Amérique et la planète sont confrontés : le fait qu’il y ait eu davantage de personnes présentes à sa cérémonie d’investiture qu’à celle d’Obama et que la pluie se soit arrêtée pendant son discours. Le magnat de l’immobilier-hérité-de-papa veut imposer « sa » vérité, quitte à falsifier l’autre. Son insistance dit beaucoup de sa pathologie et la manière dont il entend gouverner.

Christine Tréguier  • 1 février 2017
Partager :
La trumperie règne

Tout est parti de photos publiées sur les réseaux sociaux montrant effectivement la foule très dense rassemblée pour Obama en 2009. Malgré l’évidence, elles ont fait sortir Trump de ses gonds et il n’a cessé d’en parler dans les médias et publiquement. Même à la NSA où il s’est rendu, accompagné d’une claque d’une petite quarantaine de personnes, présenter un projet sur tout autre chose, il a longuement évoqué le sujet. Les faits sont pourtant indiscutables, il y avait moins de monde à Washington le 20 janvier, et il a plu pendant tout son discours. Il s’agit d’une peccadille, comparé aux actuels enjeux internationaux ou nationaux, mais Trump s’est entêté et a envoyé son porte-parole, pour sa première apparition publique, réaffirmer que la cérémonie a été « la plus grande en termes d’audience » et qu’on pouvait parfois être en désaccord avec les faits.

Lors d’une interview sur NBC, la conseillère à la Présidence Kellyanne Conway a fini par répondre au présentateur, qui par trois fois s’étonnait de cette situation, « vous parlez de contre-vérités mais notre porte-parole a donné des… faits alternatifs ». Rires de l’intervieweur. « Des faits alternatifs ! » s’est-il esclaffé mais quatre ou cinq des faits qu’il a mentionné n’étaient tout simplement pas vrais. Les faits alternatifs ne sont pas des faits, ce sont des contre-vérités ». Et la conseillère à bout d’argument d’expliquer qu’on ne peut pas prouver que ces chiffres sont faux, et qu’il n’existe aucun moyen de quantifier une foule, avant de se poser en offensée, par son rire et par la façon dont la presse traite le gouvernement et sa personne, elle qui est une femme « gentille et aimable… » (sic).

Ces termes ont été immédiatement commentés sur les réseaux sociaux et assimilés à de la novlangue (newspeak), un concept défini par George Orwell dans son roman 1984 comme « l’outil qui permet de contrôler la pensée par l’entremise du langage ». Derrière l’expression « faits alternatifs », l’administration Trump induit donc qu’au-delà des faits, il pourrait exister des réalités autres qui les contredisent et soient plus vraies que les faits eux-mêmes. Il y a eu moins de monde, mais l’injonction à penser c’est que c’était la plus grande cérémonie. Il a plu mais on doit conserver le souvenir que la pluie a cessé. Exactement ce qu’Orwell mettait en scène avec son Big Brother faisant sans fin réécrire l’histoire.

Cet épisode est révélateur de deux choses. La première, c’est la mégalomanie et l’entêtement psychotique du président de la première puissance mondiale, d’autant plus inquiétants qu’ils portent sur des détails sans aucune importance. La seconde, c’est le recours à la falsification et à la réécriture des évènements qui pourrait bien devenir la marque de fabrique de ce gouvernement et s’appliquer aux détails comme aux évènements majeurs. La propagande n’est pas née hier et personne n’a oublié Colin Powell agitant une fiole supposée contenir de l’anthrax sous le nez du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais DJT pourrait devenir, après son copain Poutine, le champion de la novlangue comme mode de gouvernement. De la trumperie poussée à son paroxysme. Imaginez le désastre : après des échanges un peu véhéments avec le Président chinois, celui-ci ayant déclaré que les États-Unis devraient cesser de polluer la planète, le porte-parole de DJT annoncerait publiquement « nous avons déclaré la guerre à la Chine parce qu’un fait alternatif nous y a obligé. Le Président chinois a menacé de nous « faire cesser de polluer la planète ».

On ne sera pas étonné d’apprendre que le Comité Science and Security des Scientifiques de l’atome, en charge du réglage annuel de l’Horloge de la fin du monde (Doomsday clock) [1], a estimé que l’aiguille des minutes, restée ces deux dernières années sur trois minutes avant minuit, serait pour la première fois avancée en 2017 à deux minutes et demie avant minuit.

Depuis, de nouveaux faits, pas du tout alternatifs, sont venus confirmer le problème. DJT provoque un tollé planétaire en signant un décret anti-immigration. Pour protéger la nation des terroristes, a-t-il argumenté. Il interdit le territoire aux Syriens et bloque pour 90 à 120 jours les ressortissants de « pays à risque ». Mais il permet aussi potentiellement de filtrer les entrants/sortants issus d’autres pays, y compris d’Europe et de France. Genre avis aux contestataires, nul ne sera à l’abri de notre courroux.

Alors comment protéger cette nation, et les autres, des retombées des actes de l’actuel locataire de la Maison Blanche ? Comment décrypter ses propos ? anticiper et contrer ses actes ? Les américains s’interrogent et on les comprend. C’est pour cela, sans doute, qu’ils se sont rués sur le livre d’Orwell, dont les ventes ont bondi de +9500% en deux jours. Et qu’ils descendent comme jamais dans la rue. Anne, ma soeur Anne que vois-tu venir ?

Sur le Web

L’interview de Kellyane Conway sur NBC

La Doomsday clock

Un diaporama récapitulatif

Un article du Monde

Les explications du Science and Security Board

[1] La Doomsday clock est à l’origine un dessin paru sur la première couverture du Bulletin des Scientifiques de l’atome lorsqu’il est passé des six pages noir et blanc initiées en 1945 par l’université de Chicago, à un vrai magazine, lequel fête cette année sont 70e anniversaire. La décision de bouger l’aiguille des minutes de l’Horloge, indiquant ainsi la plus ou moins grande imminence d’une catastrophe nucléaire, est prise chaque année par les scientifiques du comité de ce bulletin, en consultation avec un comité de sponsors incluant 15 lauréats de prix Nobel. C’est la première fois depuis 1947 qu’elle frôle minuit d’aussi près.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don