Pourquoi je crée un blog sur la pédopsychiatrie

Docteur BB exerce en centres médico-psycho-pédagogiques. Il témoignera sur ce blog de Politis.fr et fera part de ses espoirs, doutes et colères, pour donner un éclairage sur la situation actuelle de la pédopsychiatrie, mais aussi, et peut-être surtout, sur l’état de notre société.

Docteur BB  • 30 novembre 2018
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Pourquoi je crée un blog sur la pédopsychiatrie
photo : ALLISON JOYCE / GETTY IMAGES ASIAPAC / GETTY IMAGES/AFP

L’idée d’initier un blog concernant l’état de la pédopsychiatrie vient d’un constat assez affligeant, et pourtant évident : une dégradation rapide et significative de notre pratique, avec des conséquences tout à fait dramatiques à moyen et à plus long terme, dans un climat d’indifférence généralisée, tant sur le plan politique que des représentations collectives.

De fait, l’opinion publique est régulièrement alertée en ce qui concerne la déliquescence programmée du système de santé, la lente agonie du secteur hospitalier, les inégalités territoriales de santé, les problèmes de démographie médicale, ou les enjeux économiques du trou de la Sécurité sociale. Et à juste titre…

Cependant, rares sont les tribunes qui évoquent un domaine du soin qui concerne l’accueil de la souffrance des enfants et de leur famille, et qui, dans bien des cas, favorisera la possibilité pour ces futurs adultes de devenir des citoyens intégrés et autonomes, capables de s’inscrire dans une vie collective, de penser et d’agir par eux-mêmes et de participer à un fonctionnement démocratique de notre société.

Les négligences accablantes de la part des pouvoirs publics vis-à-vis des soins psychiques à destination des plus jeunes amènent effectivement à s’interpeller sur nos priorités communes.

Quel avenir voulons-nous assurer pour nos enfants ? Quels adultes deviendront les plus fragiles d’entre eux s’ils ne sont pas accompagnés pour garantir l’émergence d’individus capables de penser, d’investir des relations et des projets, d’aimer, de travailler, de partager, d’assumer des choix et des renoncements, de s’engager, etc. ?

Evidemment, il s’agit là d’un idéal et, dans les situations les plus douloureuses, nos espoirs concerneront plus modestement la capacité pour un enfant d’entrer dans le langage, de poursuivre une scolarité ou de déployer une certaine indépendance. Et, dans les cas les plus tragiques, notre travail aura pour finalité d’éviter une institutionnalisation permanente, de diminuer la fréquence des automutilations ou des passages à l’acte, de réduire la dose des traitements médicamenteux, d’empêcher une maltraitance…

Il va de soi que notre intervention s’intègre dans une dynamique sociale élargie, et mobilise des secteurs tout à fait révélateurs de l’état de notre vivre-ensemble contemporain : la famille, en premier lieu, au carrefour des évolutions sociales actuelles ; mais aussi, les institutions intervenants dans le champ de la petite enfance (maternité, crèches, PMI, etc.), l’école évidemment, la justice des mineurs et les différents dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance, les services hospitaliers spécialisés, les dispositifs sanitaires et médico-sociaux spécifiques (Hôpitaux de jours, IME, SESSAD, CAMSP, CMP et CMPP, ITEP, MDA….), les organisations administratives qui organisent l’offre de soins et les prestations accordées aux familles (MDPH, ARS…).

Sans vouloir sombrer dans un catastrophisme décliniste, force est de constater que toutes ces institutions sont, d’une certaine façon, « en crise ». Mais ce terme peut paraitre un peu galvaudé, et assez vide de sens au fond. C’est pourquoi je me propose, à travers ce blog, de donner une consistance, un vécu, des observations concrètes à ce constat. Afin que chacun puisse réaliser les conséquences réelles et graves de ce lent naufrage.

Par ailleurs, la pédopsychiatrie est également au centre de débats idéologiques particulièrement incisifs et déterminants quant aux représentations que nous construisons de notre humanité. À l’intersection des sciences humaines et médicales, des pratiques sociales et pédagogiques, mais aussi des passions et des angoisses collectives, notre pratique est tout sauf neutre, et d’une certaine façon, les orientations que nous prenons en disent beaucoup sur la façon dont nous appréhendons ce qui nous constitue en tant qu’êtres singuliers et collectifs, sur nos fantasmes et nos peurs, et sur nos renoncements….

Pédopsychiatre exerçant en centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) depuis une dizaine d’année, sur des territoires très contrastés en termes de niveaux socio-économiques, j’en arrive à la conviction que le témoignage devient de plus en plus nécessaire. Raconter la façon dont nous intervenons, concrètement et au-delà des discours ; dire les aberrations auxquelles nous sommes de plus en plus confrontés, les douleurs et les scandales ; défendre et proposer ; sortir aussi la tête des batailles du quotidien pour les transmettre et les partager, pour qu’il en reste une trace… C’est peut-être quelque chose que je dois à mes petits patients (ou usagers selon la terminologie imposée) et à leur famille, dans le respect de leur dignité, de leur intimité et de leur souffrance.

Ainsi, au fil de ce blog, j’espère pouvoir aborder de nombreux sujets (la bataille de l’autisme, le décrochage scolaire, etc.), des espoirs, des doutes, et des colères, qui permettront peut-être de donner un meilleur éclairage non seulement sur la situation actuelle de la pédopsychiatrie, mais aussi, et peut-être surtout, sur l’état de notre société….

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 4 minutes
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