BD à Angoulême : Lorsque l’enfance disparaît

Sélectionnées pour le palmarès 2017 d’Angoulême, plusieurs BD nous entraînent dans les pays (é)mouvants de la jeunesse.

Marion Dumand  • 25 janvier 2017 abonné·es
BD à Angoulême : Lorsque l’enfance disparaît

Le grand raout annuel de la bande dessinée approche : du 26 au 29 janvier, Angoulême accueille le Festival international de la bande dessinée (FIBD). Grands machins de l’édition ou petites maisons indépendantes, tous reconnaissent l’importance de ce festival, quand bien même certains déplorent la présence de plus en plus visible des « partenaires » (Cultura en tête). « Ce qui est certain, en vient à rappeler Delphine Groux, présidente de l’association du FIBD, c’est que, même si nous reconnaissons bien volontiers les apports bénéfiques – souvent essentiels – de nombreux partenaires et acteurs publics et privés du festival, nous considérons aussi que l’essence même de cette manifestation repose sur une initiative citoyenne émanant de la société civile, laquelle a toujours fait ses preuves et conserve toute sa raison d’être. » Qu’on se le dise…

Parmi les 42 titres de la sélection officielle, six se font écho, -circulant aux pays d’enfance et d’adolescence. Japon, Corée du Sud, États-Unis, Croatie, Irak, Syrie et Libye deviennent terrains de jeu à découvrir. Leurs auteurs sont tous des guides sincères. Mais le rapport de leur œuvre à la réalité les distingue.

Certains revendiquent pleinement l’autobiographie. Dans L’Arabe du futur, le Français Riad Sattouf continue à raconter sa jeunesse, passée de la Libye à la Syrie, dans le tome 3 ; et la Française Brigitte Findakly, aidée de Lewis Trondheim, mâtine ses Coquelicots d’Irak de bouts d’Hexagone.

Emmanuel Guibert poursuit quant à lui son travail de biographe : après avoir dessiné La Guerre d’Alan – un jeune Américain dans la Seconde Guerre mondiale –, puis –L’Enfance d’Alan, il s’attache à une amitié particulière dans Martha et Alan (illustration de droite).

Ancco la Sud-Coréenne, Taiyou Matsumoto le Japonais et le Croate Miroslav Sekulic-Struja brouillent un peu plus les pistes. S’ils ne font pas mystère des liens entre leurs propres expériences et celles de leurs personnages, leurs œuvres n’en portent pas la marque explicite. Pas de « je » (ou d’identique identité…), mais plein de minots héros : la jeunesse est histoire de bandes, quand les adultes disparaissent, frappent, boivent. Vivent alors ensemble les mômes en foyer de Sunny (illustration de gauche), les orphelins bastonneurs de Pelotes dans la fumée et les adolescentes bastonnées de Mauvaises Filles.

Drôles, terribles, douces, chacune de ces BD a son ton propre, ses dessins, ses couleurs, son regard. Mais toutes se placent à hauteur d’enfants, de jeunes, pour raconter les mondes alentour. Ce n’est pas qu’ils soient brillants, ces mondes. Et, plus encore que leur violence, c’est bien le ridicule des adultes qui se fait dézinguer. Ridicules, les coups en pagaille, de poing ou d’État, les vices des hommes ou des systèmes, les tentatives d’autorité à toute échelle. Ridicules, peut-être ; disparus, voire. Une époque – surtout l’enfance, surtout l’adolescence – peut bien être révolue, un univers n’être plus que souvenir, ils sont encore actifs. C’est la nostalgie d’une Californie anéantie et d’une amitié ressuscitée qui marque Alan et Martha. Ou la brutalité de retrouvailles : « Quand je t’ai vue ce jour-là, l’idée que le passé te concernait encore m’a paru affreuse », écrit la jeune Jin-joo regardant à la dérobée son ancienne amie d’enfance, une « mauvaise fille », coquard au visage et bébé dans le dos.

À moins que l’enfance abandonnée ne se métamorphose : « Quand tu seras plus grand, toute cette tristesse te donnera des forces… et elle te protégera », fait dire Taiyou Matsumoto à l’un des personnages de Sunny.

Car c’est bien le présent qui redessine les souvenirs. Il peut transformer une enfance sans problème en témoignage d’importance, en archive éclairante. Non sans ironie tragique. Prise sur le site archéologique de Nimrod, près de Mossoul, une photo de famille ouvre Coquelicots d’Irak : tout mioches, Brigitte et son frère y posent à côté de lions de pierre, dont on ne voit que les pattes. Et Brigitte de commenter : « Si mon père avait soupçonné qu’un jour ces lions ailés allaient être détruits, il aurait sans doute cadré différemment la photo. »

L’Arabe du futur, t. 3, Riad Sattouf, Allary Éditions.

Coquelicots d’Irak, Brigitte Findakly et Lewis Trondheim, L’Association.

Martha et Alan, Emmanuel Guibert, L’Association.

Mauvaises Filles, Ancco, trad. du sud-coréen par Yoon-sun Park et Lucas Méthé, Cornélius.

Pelote dans la fumée, t. 2, Miroslav Sekulic-Struja, trad. du croate par Wladimir Anselme et Ana Setka, Actes Sud BD.

Sunny, tome 6, Taiyou Matsumoto.

Littérature
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