Économie : compter sur la croissance est une erreur

Pierre Larrouturou est ingénieur agronome
de formation, il s’est fait connaître
en 1993
en lançant
le débat sur
la semaine de quatre jours.
Il est depuis
un an délégué national Europe du PS*.

Pierre Larrouturou  • 15 février 2007 abonné·es

Dette

Ségolène Royal: « La dette publique est devenue insoutenable. Elle représente 64 % du PIB et 18 000 euros par Français. »

Commentaire de Pierre Larrouturou: « Ségolène Royal a raison. Mais cela ne constitue pas un obstacle infranchissable. Certes, la dette est très élevée : chaque année nous consacrons 40 milliards d’euros pour simplement financer les frais financiers liés à cette dette. Nul ne peut donc nier l’importance du sujet. Mais la droite a tendance à exagérer la gravité de la situation pour légitimer l’asphyxie des services publics ( « Il faut faire mieux avec moins » , expliquait récemment la directrice générale des Hôpitaux de Paris) et pour justifier un niveau record de privatisations. Depuis vingt ans, en moyenne, les gouvernements ont privatisé quelque 5 milliards d’actifs publics chaque année. L’an dernier, sous prétexte que l’État est surendetté, on a privatisé pour 16 milliards d’euros !

Si l’on veut par exemple financer le logement social, pourquoi ne pas utiliser le fonds de réserve des retraites ? Les Pays-Bas ont réglé leur problème de logement en investissant une grande partie de leur fonds de réserve dans le logement. Si le fonds de réserve (utilisable seulement après 2020) est placé à la Bourse, on peut perdre une partie importante du capital quand les marchés financiers s’effondrent. Alors que si on l’investit dans le logement social, on crée des emplois et des logements. Le placement est moins rentable à court terme, mais il n’y a pas de risque de perte du capital. Avec les 27 milliards du fonds de réserve français, on pourrait doubler le plan Borloo. »

Salaires

« Je m’engage à une hausse du Smic à 1 500 euros par mois et à une hausse des bas salaires, au-dessus du Smic, qui sera fixée par les partenaires sociaux dès juin 2007 dans le cadre de la conférence sur les salaires. »

« C’est à cause du chômage que la part des salaires dans le PIB diminue un peu chaque année. Quand il y a 4 millions d’inscrits à l’ANPE, quand il y a 1 200 000 RMistes, quand il y a des millions de précaires, dans la plupart des entreprises la négociation sur les salaires se réduit à : « Si t’es pas content, tu peux aller voir ailleurs… » De ce fait, chaque année, ce qui va aux salaires dans la richesse nationale diminue : salaires et cotisations représentaient 79 % du PIB en 1982, ils n’en représentent plus que 67 % aujourd’hui.

Cette année, quelque 190 milliards d’euros vont aller au capital alors qu’ils iraient aux salaires si on retrouvait l’équilibre de 1982 ! 190 milliards d’euros ! Quand les présidents d’université demandent 5 milliards pour nos universités, on leur dit qu’il n’y a pas d’argent. Dans un livre récent, Thomas Piketty compare ce recul de la part des salaires à la dernière « grande réforme fiscale » faite par la gauche : au début des années 1980, Pierre Mauroy avait fait basculer en faveur des salariés quelque 0,3 % du PIB. Depuis, sans un mot, parce que des millions de salariés ont intériorisé la peur du chômage, les salariés ont perdu 12 %. Le recul est 40 fois plus important que la dernière avancée ! »

Retraites

« Je mettrai en place un plan de rattrapage pour les petites retraites, avec une hausse immédiate de 5 % intervenant dès 2007. »

En 1997, la gauche avait promis l’abrogation de la réforme Balladur sur les retraites. Elle n’a pas tenu ses promesses. Cette fois-ci, la gauche ne doit pas décevoir. Il faut effectivement annuler la réforme Balladur ou, en tout cas, la partie la plus dangereuse de cette réforme, celle qui conduira à une baisse de 20 % du niveau de vie des retraités (30 % pour les cadres, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques). »

Croissance

« Je le crois de toute mon âme : nous avons les moyens de relancer la croissance. »

« Cela ne suffit pas à convaincre. Cela fait trente ans qu’on nous dit que la croissance va revenir et trente ans que la crise sociale s’aggrave. La croissance n’est que de 1,5 % en moyenne depuis le début de la décennie. Et beaucoup d’économistes craignent que le niveau très élevé d’endettement des États-Unis provoque bientôt une récession mondiale. En 1930, avant que n’éclate la grande crise, la dette totale américaine (dette publique et dette privée) représentait 130 % du PIB. Elle atteint aujourd’hui 245 % du PIB ! On voit sur cette courbe que c’est depuis l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir que la dette augmente : la baisse des impôts pour les plus riches a conduit à l’endettement de l’État. La précarisation des salariés et la baisse des salaires réels d’un grand nombre d’entre eux les a poussés à s’endetter pour garder leur niveau de consommation… On a oublié toutes les leçons que l’on avait tirées de la crise de 1929 ! Le libéralisme non régulé nous mène dans le mur. Compter encore et toujours sur la croissance pour sortir de la crise est une erreur dramatique. Il faut inventer du neuf. »

Europe

« Je veux encore moins une Europe de tous contre tous, où le dumping fiscal remplace la solidarité et dans laquelle la concurrence sert de projet de société. »

« Il faut aussi très vite lancer une négociation européenne pour créer un impôt européen sur les bénéfices. C’est le meilleur moyen, à court terme, d’éviter l’asphyxie progressive des services publics. Jamais, dans tous nos pays, les bénéfices n’ont été aussi importants, mais jamais on n’a aussi peu taxé les bénéfices. Depuis vingt ans, pour attirer les entreprises, tous les pays d’Europe sont engagés dans une course au moins-disant fiscal qui nous mène à l’impasse. Le taux moyen d’impôt sur les bénéfices n’est plus que de 25 % seulement en Europe contre 40 % aux États-Unis… 15 points de différence !

Aucun pays ne peut, tout seul, augmenter de 15 points son impôt sur les bénéfices, mais rien ne nous interdit de créer un tel impôt européen. Si le budget européen était financé par des ressources propres, la France pourrait garder les 18 milliards d’euros qu’elle met chaque année dans le pot européen. Ces 18 milliards serviraient à financer un vrai fonds de péréquation mais aussi un « Plan universités », un « Plan logement », un « Plan petite enfance », etc.

Politique
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