Concurrence fiscale : rétablir la vérité

Vincent Drezet  • 29 mars 2007 abonné·es

Il serait absurde de le nier, la concurrence fiscale constitue incontestablement un phénomène d’ampleur, dont les conséquences se font durement ressentir sur les budgets publics. Qu’il s’agisse de l’exil de riches personnalités ou de la tentation, perceptible dans certains projets, de mimer les préférences d’outre-Rhin en matière d’impôt, on mesure à quel point la rivalité fiscale est structurante.

La situation est paradoxale : dans un contexte de globalisation financière, et dans le cadre du marché unique européen, les fiscalités sont demeurées du ressort des États. Cela a créé un cadre favorable à la circulation des richesses, qui a mis les États en compétition pour les attirer : leur capacité à agir grâce à la fiscalité s’en est trouvée diminuée, et celle des multinationales dans leurs stratégies d’optimisation fiscale s’en est trouvée augmentée, au point que l’on peut avancer qu’elles choisissent elles-mêmes le niveau d’imposition de leurs bénéfices. Ces derniers ont atteint un niveau record en France avec 100 milliards d’euros pour les entreprises du CAC 40 en 2006. En toute logique, sur la base d’un taux de 33,3 %, on serait en droit d’attendre une explosion du rendement de l’impôt sur les sociétés (IS).

Il faudra examiner de près les chiffres définitifs. Mais, d’ores et déjà, on peut le dire, les bénéfices ne seront, comme toujours, pas réellement imposés au taux de 33,3 % (l’IS concerne 1,3 million d’entreprises et devrait rapporter 46 milliards d’euros en 2006).

La raison en est simple. Tout d’abord, les petites et moyennes entreprises sont imposées au taux de 15 %, dans la limite de 38 120 euros (33,3 % au-delà). Mais, surtout, on constate que bien souvent les plus grandes firmes parviennent, par le jeu des transactions entre sociétés d’un même groupe, à transférer une partie de leurs bénéfices dans des pays à faible imposition. Les transactions intragroupe représentant plus de la moitié du commerce mondial, on mesure les enjeux. Ces délocalisations fiscales, plus ou moins légales montrent
les insuffisances de la coopération internationale. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et la Commission européenne ont beau, officiellement, s’être saisies de la question, dans le seul but, il est vrai, de rééquilibrer les conditions de la concurrence, aucune mesure contraignante n’a été décidée.

On ne peut que déplorer le peu de volonté politique de circonscrire ce phénomène, alors que s’annoncent déjà en France des mesures qui, après les échéances électorales, nous seront présentées, n’en doutons pas, comme inéluctables du fait même de la concurrence fiscale.

Il faut en réalité distinguer deux dimensions de cette rivalité. L’une, bien réelle, procède d’une absence d’harmonisation fiscale voulue, car elle permettrait, en théorie, une allocation optimale des ressources et une bonne gestion de l’argent public. En ce sens, elle est jugée bonne et éminemment souhaitable par le discours dominant. Seule serait néfaste la concurrence dommageable, même si, en réalité, personne n’a trouvé la limite entre une bonne et une mauvaise compétition… L’autre dimension, plus psychologique, joue sur la peur de la récession et des délocalisations. Elle est assise sur des comparaisons internationales à qui l’on fait dire à peu près n’importe quoi. Ainsi, il est fréquemment avancé que le taux de prélèvements obligatoires serait trop élevé en France, sans que l’on prenne la peine de dire que cela ne reflète pas un rapport coût/rendement plus mauvais dans l’hexagone qu’ailleurs, mais implique simplement des différences dans le mode de gestion de la protection sociale. De la même manière, la comparaison des taux n’enseigne rien si les règles qui déterminent les bases imposables ne sont pas prises en compte. Car on verrait que la France se situe, en termes d’imposition effective des bénéfices des entreprises, dans la moyenne européenne. Cette dimension de la concurrence est très prégnante dans les choix nationaux : elle permet d’adopter des mesures régressives en termes de justice fiscale.

Devant cette situation, c’est bien l’harmonisation fiscale européenne et le rééquilibrage du système français qu’il faut porter. Mais, au fond, le premier des chantiers serait de rétablir quelques vérités fiscales. C’est à cette condition qu’un réel débat pourra se dérouler, en souhaitant qu’il ne soit pas déjà trop tard.

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