Un robot à la caisse

Des bornes de paiement automatiques sont testées dans diverses enseignes de la grande distribution. Plusieurs syndicats s’alarment des suppressions de postes qui risquent d’en découler.

Jean-Baptiste Quiot  • 10 mai 2007 abonné·es

Le « bip-bip » des caisses automatiques, qui fleurissent dans les supermarchés depuis un an, va-t-il totalement remplacer le « bonjour » des caissières ? Pour la CFDT-Services, ces machines constituent « une menace pour plusieurs dizaines de milliers d’emplois » et, à terme, pour les 170 000 caissières que compte la grande distribution. Ces professionnelles ­ car ce sont essentiellement des femmes ­ sont-elles condamnées à disparaître comme les pompistes, les ouvreuses de cinéma ou le poinçonneur des Lilas ?

Dans son blog, Michel-Édouard Leclerc accuse la CFDT-Services d’avoir fait «~un joli coup média~» avec l’opération de sensibilisation «~SBAM~», qui a réuni 1 200 militants devant 70 grandes surfaces. «~SBAM~» (en référence au « Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci » réclamé aux employés), pour «~Sans bornes automatiques, merci~». Selon le patron de Leclerc, seuls les «~hypermarchés qui subissent des pics de fréquentation~» sont concernés. Il ne s’agit d’équiper les magasins que «~de deux ou trois caisses automatiques~» , et il n’y aura «~aucune incidence sur l’emploi~» . Pourquoi~? D’abord parce que ces robots nécessitent «~une surveillance~», et surtout parce qu’ils vont entraîner «~un surcroît de chiffre d’affaires~» grâce aux «~acheteurs spontanés énervés par les queues~» .

Et comme chacun sait, le «~surcroît de chiffre d’affaires~» profite à l’emploi et aux conditions de travail. Les revenus des patrons de la grande distribution en témoignent largement. Avec une fortune s’élevant à 14 milliards d’euros, le patron d’Auchan, Gérard Mulliez, est la deuxième fortune de France. Derrière Bernard Arnault, récemment entré dans le capital de Carrefour pour profiter lui aussi de ce juteux marché. Mais la poule aux oeufs d’or n’est pas pour les caissières. 54~% d’entre elles travaillent à temps partiel, et leurs salaires dépassent rarement le Smic, même quand elles font valoir des années d’ancienneté. Des conditions dénoncées par l’intersyndicale CFDT-CGT-CFE-CGE-CFTC-FO, qui appelait, le 4 mai, les salariés de Monoprix à une grève. Pour la CFDT, «~les résultats de cette entreprise ne sont pas partagés~» alors qu’ «~ils ont augmenté de 18,6~% par rapport à 2005, pour atteindre 260 millions d’euros au total~» .

Les caisses automatiques représentent-elles un immense danger pour les caissières~? Pour le moment, plusieurs modèles sont en test dans les magasins. Les «~caisses-minute~», prévues pour les petits achats que le client scanne lui-même. Le même système, mais pour un plus grand nombre de produits, expérimenté chez Auchan. Et le «~pistolet~», prêté à l’accueil, qui permet de scanner les articles au fur et à mesure puis de «~décharger~» ledit pistolet dans une caisse automatique. Mais la CFDT craint l’arrivée d’une nouvelle technique~: les puces dites «~RFID~». Ces puces à radiofréquences, collées aux produits, permettraient aux clients de ne même plus vider leur Caddie.Ils passeraient simplement devant une borne qui en calculerait le contenu.

À en croire les différentes enseignes, ce projet ne serait pas encore à l’ordre du jour. En réalité, les puces RFID sont déjà utilisées pour la logistique dans quatre magasins Carrefour. «~Le temps d’inventaire des produits et de leur mise en rayon est ainsi considérablement réduit~» , estime le distributeur, qui assure qu’ «~il n’y a pas de suppression d’emplois envisagée et [que] les salariés vont être redéployés en tant que conseillers clientèle~».

«~De là à penser que la généralisation du système est profitable, il y a un fossé, que peu de distributeurs imaginent sauter~» , affirme Michel-Édouard Leclerc. Pourtant, à 20 000 euros l’automate et une «~hôtesse d’accueil~» pour superviser quatre machines, ce nouveau système pourrait rapidement devenir rentable en termes de masse salariale. La CFDT décèle d’ailleurs dans la posture des dirigeants une tactique consistant à «~étaler dans le temps l’instauration de ce procédé pour éviter la contestation des salariés~» .

Mais qui a dit que seule la rentabilité faisait courir les grands patrons~? Michel-Édouard Leclerc prévient les syndicats~: «~Attention, à force de noircir le trait, des employeurs, fatigués d’être toujours pris pour cibles, pourraient effectivement en venir à préférer les machines aux caissières, indépendamment même de toute analyse de rentabilité.~» Avec des robots, la paix sociale leur serait assurée. Comme quoi, nul besoin d’un «~pistolet~» à la caisse pour menacer les salariés.

Temps de lecture : 4 minutes