Ils prennent leur quartier

À Fontenay-sous-Bois, le centre commercial désaffecté de la cité des Larris se transforme en pôle d’économie solidaire, grâce à l’implication des habitants et des associations locales. Reportage.

Jean-Baptiste Quiot  • 28 juin 2007 abonné·es

Un centre commercial fantôme entouré d’immenses tours, et un ciel sans avenir pour tout horizon. Les boutiques sont fermées, les couloirs déserts. Nous sommes au coeur du quartier des Larris, à Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne. Mais, depuis 2003, l’espoir renaît dans ce dédale avec l’apparition d’une boutique de commerce équitable, activité habituellement menée dans les centres-villes. Plus surprenant, un projet de «~pôle d’économie solidaire et sociale~», en lieu et place du centre commercial, a été présenté aux habitants du quartier. Pari audacieux.

Avec 8 000 habitants, le quartier des Larris est une illustration de la conception initiale de la grande ZUP (zone à urbaniser en priorité) de la Plaine. L’ensemble est parsemé de dalles construites sur des parkings de plus de 30 000 m2, ceinturées par des voiries en chicane. «~Il réunit les problèmes socio-économiques que connaissent les grands ensembles depuis la fin des années 1980~» , se désole le maire communiste, Jean-François Voguet. En effet, le centre commercial a décliné face à la concurrence d’un hypermarché Auchan, quelques centaines de mètres plus loin. La délinquance s’est développée, avec la paupérisation des habitants. Les équipements publics sont insuffisants, et le quartier manque cruellement d’animations sociales et culturelles.

«~On ne veut pas voir le quartier de notre enfance devenir une banlieue dortoir asséchée~ », lance l’un des jeunes des Larris. Lui et quelques autres, qui ont fréquenté la dalle et les mêmes bancs d’école, ont pris le destin de leur quartier en main. Ils ont créé l’association Terroir du monde et ont ouvert une boutique de produits issus du commerce équitable. « Comment réinvestir l’espace public d’un centre commercial abandonné et faire en sorte que ce lieu redevienne un pôle de vie, d’échange, de parole et, par effet d’entraînement, un pôle commercial~ ? C’est la problématique de notre action, explique Jean-Philippe Gautrais, l’un des jeunes du quartier, fondateur de l’association. Nous croyons que l’économie solidaire permet l’attractivité sociale, qui entraîne à son tour l’attractivité économique. C’est-à-dire faire en sorte que la dynamique économique soit au service des habitants du quartier et des valeurs que nous avons en commun.~ »

Depuis 2006, il s’est engagé dans un projet plus ambitieux, nommé Equitess [^2]. «~ Cela consiste à transformer le centre commercial en pôle d’activité d’insertion, de formation, d’éducation, fédérateur des acteurs de l’économie solidaire, explique Joël Cacciaguerra, de l’Agence pour le développement des services de proximité (ADSP), qui a accompagné et soutenu cette initiative. Il s’agissait de mettre les habitants du quartier dans une forme de coopération. Il y avait beaucoup d’associations à Fontenay, mais isolées les unes par rapport aux autres. Le projet Equitess a donc permis, dans un premier temps, de créer un collectif rassemblant ces associations autour de valeurs de solidarité et d’échange, et de les consolider chacune dans leur projet.~ » Que trouve-t-on dans le collectif Equitess~? Outre Terroirs du monde ; Kaloumba, qui développe des jeux ; Niaso Event, qui organise des événements autour de l’échange culturel ; RIP, une association d’accompagnement scolaire et d’expressions musicales, qui a vu le jour «~ dans les cages d’escaliers, les halls et les parkings de Val de Fontenay~ » ; et bien d’autres associations de quartier. «~ Tout cela s’est fait grâce au travail militant et au bénévolat. Les habitants ont mis leurs forces en commun. Ce sont des jeunes en formation qui ont construit la boutique, et les gens ont compris que le projet était pour eux et investi par eux. Ainsi, nous résistons à la pensée unique du tout-ultralibéral en créant un lieu d’échange marchand et non-marchand avec de la formation permanente et déjà plusieurs emplois créés, respectueux du droit du travail, pour la population du quartier~ », affirme Françoise Hutinet, professeur de mathématiques à la retraite, bénévole de l’association J’en Zay en vie.

Jean-Philippe désigne les boutiques abandonnées du centre commercial : «~ Ici, il y aura bientôt un restaurant solidaire, et là, une boutique culturelle.~ » Des universitaires et des experts chargés de la mission ont aussi fait le déplacement, notamment ceux du Centre de recherche et d’information sur la démocratie et l’autonomie (Crida), du Réseau 21 de l’université de Valenciennes et de l’ADSP. «~ C’est la première fois que nous voyons une telle démarche. C’est-à-dire venant de citoyens et pour les citoyens, qui parvient à mobiliser un partenariat interinstitutionnel sur un projet à finalités sociales, politiques, économiques et culturelles, s’affichant dans le champ de l’économie solidaire~ » , s’enthousiasme Christian Tytgat, du Réseau 21. Le nouveau projet des Larris cherche avant tout à améliorer le quotidien des habitants, sans perdre de vue quelques valeurs fondamentales.

[^2]: Équité, territoire d’économie sociale et solidaire.

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