Cette chère monnaie

Marie-Louise Duboin interroge
la nature de l’argent et l’évolution
anti-démocratique de son utilisation.

Jean-Baptiste Quiot  • 5 juillet 2007 abonné·es

«La connaissance des mécanismes monétaires échappe au commun des mortels. Donc, dans leur grande majorité, les gens admettent de se laisser conditionner par l’obligation de se procurer quelque chose dont ils ignorent l’essentiel. » C’est sur ce constat que commence Mais où va l’argent ? , un essai de Marie-Louise Duboin, qui s’est entourée, pour l’occasion, de l’équipe de la Grande Relève . Ce mensuel de réflexion socio-économique a été créé en 1935 par Jacques Duboin, un des premiers économistes à avoir compris que des structures économiques faites pour des temps de rareté devaient être transformées lorsque l’abondance devient une dominante mondiale. La fille du célèbre utopiste poursuit la mission pédagogique entreprise par son père et mène une réflexion « citoyenne » sur la question de l’argent.

L’omniprésence de l’argent est un fait si naturel que son existence même interroge peu. Pourtant, « l’argent, qu’est ce que c’est ? Qui a le pouvoir de créer la monnaie ? Qui décide en quelle quantité ? Et pour répondre à quels besoins, quels impératifs ? Comment est-elle mise en circulation ? Au bénéfice de qui ? » . L’auteur dresse une généalogie de l’argent pour comprendre sa réalité actuelle. Une réalité qui pose d’emblée problème, du fait de la dématérialisation de la monnaie : « La monnaie n’est plus l’argent. Est-il bien sérieux de prétendre mesurer la valeur d’une richesse en la comparant à un symbole qui n’en possède pas et dont aucune limite matérielle ne peut arrêter la création ? » Marie-Louise Duboin rappelle que cette création n’est plus du ressort de l’État et du droit régalien de « battre monnaie » mais de celui des banques : « En découvrant que sa création relève désormais de l’intérêt privé, nous avons été stupéfaits . »

Ce changement a une conséquence directe. En effet, en transférant les grands choix économiques de la collectivité à la sphère des intérêts privés, « c’est la démocratie qu’on assassine » . Comme le résume en préface René Passet, professeur émérite à la Sorbonne et ancien président du conseil scientifique d’Attac, « la libre circulation et fluctuation des devises, proclamée lors du tournant libéral des années 1980, a pour triple résultat : de faire de l’échange de monnaie contre monnaie, déconnecté du réel, un moyen d’enrichissement, donc une fin en soi ; d’introduire, par la spéculation, de l’instabilité cumulative au lieu des harmonies régulatrices promises ; et d’entraîner une redoutable concentration de pouvoirs financiers, lesquels imposent leur puissance au-dessus des États, au détriment du politique responsable de la définition du consensus social » . Pour Marie-Louise Duboin, il faut rétablir le pouvoir politique en redonnant à l’État son droit sur la monnaie, fixer la masse monétaire à la valeur des richesses produites et séparer la gestion des biens de celles des personnes. Et, surtout, ne pas cesser de poser les bonnes questions : « L’obligation de croissance est-elle une fatalité ? Comment la démocratie peut-elle rendre le partage possible ? Comment l’être pourrait-il cette fois l’emporter sur l’avoir ? »

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