Le bagage des femmes

Des associations mènent un programme de tourisme solidaire en Kabylie. Cette initiative vise à favoriser l’emploi et à valoriser l’environnement, mais surtout à promouvoir les droits et l’autonomie des femmes.

Thierry Brun  et  Claire Demont  • 5 juillet 2007 abonné·es

En Algérie, l’émancipation économique des femmes reste à construire. Elles travaillent beaucoup mais ne perçoivent jamais directement la rémunération de leur activité. Elles doivent toujours passer par l’intermédiaire d’un homme, leur mari ou leur fils », explique Faroudja Moussaoui. Cette universitaire milite en faveur du droit des femmes au sein de deux associations algériennes, Amusnaw et le Collectif des femmes du Printemps noir (CFPN), où elle est chargée du développement solidaire. Ce dernier défend notamment l’abrogation du code algérien de la famille, qu’il juge discriminatoire à l’encontre des femmes. Tandis qu’Amusnaw, implantée à Tizi Ouzou, agit pour leur alphabétisation.

Faroudja Moussaoui a rejoint le Forum femmes Méditerranée de Marseille pour mener à bien un programme de tourisme solidaire en Kabylie. Avec une priorité : créer des activités génératrices de revenus pour les femmes. Ce programme est l’une des initiatives phares du récent et vaste réseau Agir responsable en Méditerranée par le développement du tourisme solidaire (Aremdts). Créé le 24 mai au Maroc, il réunit vingt-trois structures implantées en France, au Maroc, en Algérie, en Jordanie, en Tunisie, en Espagne, en Égypte, au Liban, en Bosnie-Herzégovine et en Palestine.

L’association se veut un espace d’échanges, de dialogues et de débats. Et son ambition est d’organiser un tourisme solidaire pour lutter contre la pauvreté et pour le développement des territoires locaux. Aremdts s’est doté d’un « groupe pilote » constitué des associations Mada au Liban, Sodev au Maroc, Citoyens de la Terre en France <www.citoyensdelaterre.org>, ainsi que du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), qui a apporté les financements et est le partenaire principal, avec la Fédération nationale Accueil paysan.

« Nos propositions prennent en compte les attentes des associations isolées et limitées en moyens humains et financiers, qui ont en même temps à faire face à un environnement saccagé par un tourisme de masse et une agriculture industrielle, qui sont de gros gaspilleurs d’eau » , explique Alain Desjardin, en charge des relations extérieures d’Accueil paysan. Il cite en exemple l’action menée par l’association de sauvegarde de l’oasis de Chemini à Gabès (Tunisie), dont l’objectif est la création d’un « jardin de la biodiversité arboricole de l’oasis et la régénération in situ des espèces menacées » . Elle envisage aussi la vente de produits et un accueil touristique.

Les fondateurs d’Aremdts ont adopté une charte posant les principes des projets. Ils consistent, entre autres, à «~favoriser les emplois locaux en matière touristique en complément des activités économiques déjà existantes~» , et à «~contribuer à une meilleure protection et valorisation de l’environnement~» . La charte souligne encore la nécessité «~de reconnaître le rôle et le statut des femmes dans l’activité touristique et de veiller à ce qu’elles soient rétribuées et qu’elles bénéficient des retombées économiques sociales et éducatives des activités touristiques~» . Amusnaw, le Collectif des femmes du Printemps noir et le Forum femmes Méditerranée de Marseille ont insisté pour que ce dernier principe soit inscrit dans la charte. «~Trop souvent, les femmes travaillent sans être payées. Généralement, elles ont quitté l’école tôt et n’ont pas de formation spécifique~» , témoigne Faroudja Moussaoui. À cela s’ajoute le poids des coutumes, qui affecte les femmes à des tâches traditionnellement féminines, qui les confinent à la maison. «~Les femmes travaillent peu dans l’économie formelle car les offres d’emploi manquent. Et elles assistent rarement aux réunions.~» Dans le cas de l’Algérie, explique Faroudja, 70~% de la population a moins de 30 ans, et le taux de chômage est inquiétant, «~c’est pourquoi le programme de développement du tourisme solidaire vise aussi à réduire l’exode rural en créant de l’emploi~» . Les associations algériennes ont déjà sélectionné six villages, dont Mokrane et Azzefoun, sur le littoral, pour accueillir les touristes solidaires. Cinquante habitations ont été recensées pour les recevoir en gîte ou en maison d’accueil. Premier critère de sélection des villages~: la reconnaissance du rôle et du pouvoir de décision des femmes dans l’application du projet. Autre obligation : toutes les activités doivent être déclarées et servir à créer un fond de retraite pour les femmes. «~Par cette démarche, nous entendons poser un acte fort du droit des peuples à vivre dans la dignité, par des réponses à la pauvreté, au mépris, à la violence~» , conclut Alain Desjardin.

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