Le message de Fillon

Bernard Langlois  • 6 septembre 2007 abonné·es

J’ai entendu un type, ce lundi matin sur France Inter (un certain François Futon, ou Fignon, ou Fillon, quelque chose comme ça…) qui prétendait être en charge du gouvernement de la France. Un mythomane sans doute. Mais comment diable a-t-il fait pour être invité~? « Je suis Premier ministre~! » , disait-il. « Et moi Stéphane Paoli… » , répondait le journaliste, un certain Demorand. La radio, ça devient n’importe quoi~!

Bon ça va, je galèje.

Le fait est que l’hyperactivité du président bling-bling laisse peu d’espace au chef du gouvernement et prête le flanc à la dérision, ce qui n’est pas charitable~; pas juste non plus, car comment douter que François Fillon travaille beaucoup (ou alors, c’est quoi ces valoches sous les yeux, hein~?), plus peut-être qu’aucun Premier ministre avant lui, car Sarkozy, faut suivre~! Et faut serrer les boulons de tous ces trucs qu’il lance en l’air au gré de ses inspirations changeantes, tous ces projets mal ficelés que lui inspirent l’air du temps et sa réactivité au moindre fait divers~: quand l’exercice du pouvoir est tout entier contenu dans une politique de la communication, il y a sûrement du boulot en aval pour tenter de lui donner un minimum de cohérence et de suivi.

Et qui s’y colle, je vous le demande~!

J’ai eu l’impression, à l’écoute, que c’est un peu le message que Fillon cherche à faire passer. En substance~: à l’Élysée, les fulgurances et la flamboyance~; à moi la dure réalité de la gouvernance au jour le jour. Du reste, ne vous y trompez pas, je ne suis pas un « collaborateur » de Sarkozy~; je suis un homme politique de plein exercice, oint du suffrage, et la répartition des rôles est le fruit d’un accord en bonne et due forme entre nous, un contrat, qui peut être dénoncé par l’une ou l’autre partie.

Mais n’est-ce pas la règle sous la Cinquième République~? « L’intendance suivra… » , disait de Gaulle. Et l’intendance, c’est Matignon.

ASPECT PERVERS

Tel est l’aspect pervers de la Constitution de 1958, révisée 1962 : le Premier ministre n’accède à la pleine existence politique que dans l’opposition au président de la République. Opposition feutrée quand les majorités présidentielle et parlementaire coïncident~; ouverte, quand elles s’opposent.

Exemples du premier cas~: le Pompidou d’après 1968, dans la dernière année du règne du Général, ou encore Chaban sous le même Pompidou une fois celui-ci à l’Élysée, ou Rocard sous Mitterrand II (séparations à l’amiable dans ces exemples, pour sauver les apparences, ou plus fracassante, comme Chirac sous Giscard). Exemples du deuxième cas~: Chirac encore sous Mitterrand, et plus généralement toutes les périodes de cohabitation, dont la dernière, Jospin sous Chirac. Seule la cohabitation donne au locataire de Matignon de vrais pouvoirs de gouvernement, le primat du chef de l’État le maintenant plus ou moins dans l’ombre, dans l’autre cas. On a souvent eu l’occasion de constater les méfaits de cette dyarchie au sommet de l’État~: rares sont les chefs de gouvernement qui ont vécu avec l’hôte de l’Élysée une histoire sans trop d’embrouilles. Dans deux styles fort différents, c’était le cas des deux qui viennent de nous quitter~: le prof et le légionnaire.

Comme Raymond Barre et Pierre Mesmer, François Fillon s’inscrira-t-il dans la tradition des fidèles, ceux qui s’en vont, mission accomplie, sans faire d’histoires~? Ou dans celle des rebelles, ceux qui un jour secouent la férule~? À vue de nez, je parierais volontiers pour la seconde hypothèse, tant ça doit être gonflant d’être le Premier ministre d’un zébulon tel que Sarkozy.

OPPOSITION

La semaine passée, l’actualité a laissé un peu de place à l’opposition, université d’été du PS oblige.

Remarquez~: je dis « opposition », mais c’est une commodité de langage. Dans le grand n’importe quoi qui prévaut, où l’on ne compte plus les socialistes plus ou moins ralliés au régime (ou pour le moins associés aux divers « chantiers » en cours), on ne sait plus trop ce qu’opposition veut dire~; et entre les fulminations des uns contre la candidate malheureuse, ou la direction sortante, ou les deux (le pompon à Allègre), les impatiences des autres à accéder aux premiers rôles (les « jeunes lions » autoproclamés), les questions existentielles de tous ( « faire un bout de chemin avec la majorité », comme le propose Manuel Valls, mais quel bout et quel chemin~?), les silences des caciques retirés sous leurs tentes respectives, un Premier secrétaire qui annonce son départ et se montre plus présent que jamais… qui peut encore expliquer ce que PS veut dire~? Ce parti garde pourtant des militants qui ne demandent qu’à en découdre~; et encore quelques dirigeants dont le discours sonne juste (je pense à Vincent Peillon, entendu ces jours-ci sur France Culture, qui a au moins une vraie culture historique et une réflexion charpentée)~: qu’il se remette en ordre de marche peut s’avérer utile plus rapidement qu’on ne pourrait le croire.

Les temps sont rudes, le prix du pain augmente, les abeilles meurent [^2] ; et le sarkozisme n’est pas forcément fait pour durer.

PESANTEURS

Ce n’est pas comme le régime chérifien, qui résiste fort bien aux tentations démocratiques. Après les années de plomb du règne d’Hassan II
[^3], les Marocains étaient en droit d’espérer un régime moins autocratique, sous le sceptre du fiston, Mohammed VI~: changement de génération, de mentalité, d’environnement. Le jeune roi n’était-il pas présenté comme un libéral, formé dans les meilleures écoles et même un temps stagiaire à Bruxelles au cabinet de Delors, qui en disait beaucoup de bien~?

Bah, faut croire que les pesanteurs historiques l’emportent sur les meilleures volontés. Ou que Mohammed et sa cour ont bien intégré la leçon de Lampedusa~: que tout change pour que rien ne change. Le jeune monarque a bien écarté les proches de son père les plus compromis dans la répression, comme Driss Basri, l’homme fort des trente dernières années du règne d’Hassan (qui vivait en exil à Paris et vient de rendre son âme noire à Allah) [^4] ; pour le reste, le makhzen reste le makhzen~: « L’armature administrative (makhzen) arrive jusqu’au douar. La culture marocaine, c’est l’amour du Prophète et de ses enfants. Quand ils prient pour Lui, ils prient aussi pour Mohammed VI. Il y a aussi la culture makhzen~: au moins, disent les gens, nous avons un descendant du Prophète~! Avec cette armature administrative et spirituelle, comment voulez-vous entamer un progrès politique~? « Na’am Ya sidi~! » (« Oui, Monsieur ») *, puis trois génuflexions~! »* [^5].
) Ajoutez la corruption, les ravages de l’économie libérale mondialisée (où la classe possédante marocaine se vautre avec délice), le bradage des villes historiques aux riches Occidentaux amateurs de* riads (BLH, DSK, pourquoi vous toussez~?), le tourisme de masse qui fait du pays un bronze-culs, voire un haut lieu de la prostitution et du tourisme sexuel (certains comparent le Maroc à la Thaïlande), et vous comprendrez pourquoi le (seul) parti islamiste légal, le PJD (Parti de la justice et du développement) est donné largement favori des élections législatives de ce vendredi 7 septembre. Composé de tendances plus ou moins radicales, mais soigneusement démarqué des salafistes et des violences qu’on leur attribue (le PJD a condamné les attentats de Casablanca de 2003 et 2007), ce parti est déjà la principale force d’opposition représentée au Parlement et semble s’être implanté de plus en plus solidement dans les classes moyennes et dans une jeunesse durement touchée par le chômage
[^6].

Alors, une évolution à la turque (qui serait un moindre mal), ou à l’algérienne (comme certains le redoutent) ? Probablement ni l’un ni l’autre, le Palais restant encore maître du jeu dans tous les cas de figure. Du moins dans un proche avenir.

SOLIDARITÉ

Mais il existe au Maroc une autre opposition~: laïque, démocratique, syndicale, associative, altermondialiste, féministe, non-violente, qui subit de plein fouet la répression.

Lors des défilés pacifiques qui se sont déroulés le 1er mai dernier dans plusieurs villes marocaines (Agadir, Ksar el Kébir, Taza, Séfrou Er-Rachidia, Tiznit…), auraient été proférés des slogans hostiles à la monarchie. Matraquages, tabassages, arrestations. Et condamnations dans la foulée d’une dizaine de militants syndicaux et associatifs. Plusieurs manifestations et sit-in de protestation et de solidarité qui se sont déroulés dans les semaines suivantes ont subi la même répression, et de nouveaux militants, dont des responsables d’Attac-Maroc ou de l’Association marocaine de défense des droits humains, ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Répression aussi du mouvement de grève des mineurs de Jbel Awam, menaces, intimidation et destruction de journaux d’opposition, inculpation de journalistes…

C’est pourquoi Attac-Maroc appelle à la constitution urgente d’un Comité international de soutien, dont nous nous faisons volontiers ici le relais [^7].

Car si nous avons toutes les raisons de nous inquiéter de l’état de la démocratie française et tous les droits de protester contre sa dégradation, nous avons aussi le devoir de ne pas nous détourner de ceux qui se battent pour la liberté à nos frontières~; d’autant plus quand ces combats sont ceux de peuples dont l’histoire est si intimement liée à la nôtre, hier comme aujourd’hui. La solidarité avec les démocrates marocains relève de l’évidence.

[^2]: Albert Einstein assurait que la disparition des abeilles serait le prélude à l’extinction de l’espèce humaine. Encore un peu de patience, ça vient…

[^3]: Roi de 1961 à sa mort, en 1999. J’ai toujours plaisir à rappeler le surnom qu’avait donné de Gaulle à Sa Majesté~: « Petit trou du cul. »

[^4]: Lire sa nécro sur Bakchich.info : « Bras droit d’Hassan II et serviteur excessivement zélé du royaume, l’ancien ministre de l’Intérieur et de l’Information est devenu, à la mort d’Hassan II, le symbole des années où le pouvoir réprimait à tour de bras~: tortures, arrestations arbitraires, disparitions… En y ajoutant une institutionnalisation de la corruption, le bilan de Driss Basri est… mauvais. »

[^5]: Témoignage de Mohammed Tahiri (ancien agronome, élève de René Dumont, qui fut en charge de l’Office national de l’irrigation sous Mohammed V), cité dans les Trois Rois, l’ouvrage de référence d’Ignace Dalle (Fayard, 2004

[^6]: « Après un exercice de près de dix ans d’un cabinet de « transition » qui avait soulevé en 1998 beaucoup d’espoir, le pays n’a pas résorbé sa fracture sociale pour cause notamment de crise économique et de mauvaise gouvernance. Il se classe au 125e rang de l’Indicateur du développement humain (2002) des Nations unies. Près de la moitié de sa population âgée de 15 ans et plus est analphabète (49,3 %). Plus du tiers de la population (34,5 %) est pauvre, avec 14,3 % vivant avec $2 par jour. Les rangs des chômeurs, dont ceux diplômés des cycles supérieurs, ne cessent de se gonfler… » Source~: Oumma.com. « Les élections législatives de septembre 2007. L’hypothèse d’un raz-de-marée islamiste au Maroc », par Aziz Enhaili, 4 septembre.

[^7]: Contact Attac-France, Anne Marchand 06~7235~7785.

Edito Bernard Langlois
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