Les leçons d’une crise

Dominique Plihon  • 13 septembre 2007 abonné·es

Les principales places financières de la planète ont été secouées par de dangereux soubresauts au cours de cet été 2007. Cette crise était prévisible et avait été annoncée dans ces colonnes [^2]. Aujourd’hui, avec un peu de recul, on peut tirer les premières leçons de ce nouvel épisode d’instabilité financière.

La crise est partie des États-Unis, qui sont le centre du système financier international. Elle résulte des tensions créées par les contradictions internes de l’économie américaine. En favorisant les détenteurs du capital et des hauts revenus, les politiques néolibérales ont conduit à la montée des inégalités et à la stagnation des revenus des classes moyennes. Pour pallier cette insuffisance du pouvoir d’achat qui pesait sur la demande de logements, les banques américaines se sont lancées, avec la bénédiction des autorités, dans des prêts aux couches les moins solvables de la population américaine, en prélevant sur ces dernières des primes de risque élevées (subprime) . Au départ, le résultat a dépassé tous les espoirs : le marché immobilier états-unien a connu une période d’euphorie, mais une bulle spéculative s’est formée. Pour calmer cette surchauffe, la banque centrale (Fed ou Federal Reserve) a monté ses taux d’intérêt. Le piège s’est alors refermé sur les salariés pauvres qui ne pouvaient plus payer leurs mensualités. Et la bulle a éclaté…

Deuxième leçon : la crise illustre l’extraordinaire ambivalence de la finance moderne. Les marchés financiers sont présentés comme un instrument efficace pour diffuser et répartir les risques. En effet, les crédits « subprime » n’ont pas été gardés dans le bilan des organismes qui les ont accordés. Ces crédits ont été « titrisés », c’est-à-dire transformés en titres négociables, puis vendus à des banques et à des investisseurs souvent étrangers : ainsi s’est diffusé dans le monde le risque né aux États-Unis. Mais, et c’est l’autre face des marchés, les acteurs financiers ont pris des risques excessifs en se « gavant » littéralement de ces titres à haut rendement. Résultat : lorsque la qualité des créances « subprime » s’est dégradée, chacun a cherché à s’en débarrasser, et ce fut la panique sur les marchés.

Autre paradoxe : les banques centrales (BC) sont supposées être « indépendantes ». Or, cette crise a montré que ces dernières sont en réalité les otages des marchés financiers. Elles ont dû secourir les banques en difficulté (comme BNP-Paribas), en leur apportant des financements en urgence. Du coup, les responsables de la crise n’ont pas été sanctionnés… et recommenceront à la première occasion. Les principales victimes de cette crise sont aux deux bouts de la chaîne : d’un côté, les ménages américains les moins favorisés risquent de se retrouver à la rue et de vendre leurs maisons pour rembourser leurs dettes ; de l’autre côté, les épargnants ont encaissé une baisse de la valeur de leurs parts investies dans les fonds d’investissement (les Sicav [^3] en France) qui ont réalisé ces opérations hasardeuses.

Cette propagation internationale de la crise vient de l’accumulation des dettes en dollars dans le monde, rendue possible parce que les États-Unis ont le privilège exorbitant d’émettre la principale monnaie internationale, acceptée par tous les pays. Mais ce droit de « battre monnaie » n’est pas illimité. Car le moment est venu où on assiste à une perte de confiance dans l’économie et le système financier américains. De nouvelles crises financières et une crise du dollar sont donc à prévoir. Avec des conséquences néfastes inévitables sur la sphère réelle de l’économie. Car les banques vont surréagir à la crise et restreindre leurs crédits aux entreprises et aux particuliers, ce qui va peser sur l’activité économique dans de nombreux pays, dont la France.

Il est temps de remettre en cause les politiques de libéralisation financière qui sont responsables de cette crise, comme des précédentes. Il faut rétablir des contrôles de capitaux, et exiger des autorités financières qu’elles interdisent les prises de risque excessif sur des produits financiers complexes montés à partir de n’importe quoi et vendus à n’importe qui. Des sanctions doivent être prises contre les dirigeants responsables de cette spéculation. Il convient enfin de modifier le mandat des banquiers centraux, en particulier de la Banque centrale européenne. Celle-ci ne s’intéresse qu’à la stabilité des prix des biens et des services, en prônant la rigueur salariale. Il faut que son objectif prioritaire soit désormais la lutte contre l’inflation boursière et immobilière, ce qui implique que cesse la collusion actuelle entre les autorités monétaires et les élites financières…

[^2]: Robert Guttmann, « Crédit à haut risque », n° 946 (5 avril 2007)

[^3]: Société d’investissement en capital variable, qui collecte et place l’épargne des particuliers

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