Un même combat…

Denis Sieffert  • 15 novembre 2007 abonné·es

Apparemment, les deux actualités ne sont pas faites pour se rencontrer. L’une est en pleine lumière et conditionne nos vies quotidiennes : c’est évidemment lemouvement de grève entamé ce mercredi dans les transports publics. L’autre est pour l’instant soigneusement tenue hors du champ de l’information : c’est l’amorce d’une mobilisation pour que le nouveau traité européen soit soumis à référendum. L’une est mûre et fait irruption dans la rue, l’autre en est àses balbutiements politiques. Mais l’analyse que nous faisons, c’est qu’en dépit des apparences il s’agit d’un même combat. La construction d’une Europe mue exclusivement par des impératifs de gestion et de profit est devenue au fil du temps la matrice de toutes les politiques économiques et sociales. Selon des agendas à peine différents, tous les pays de l’Union passent au même laminoir des contre-réformes libérales. L’alignement sur nos partenaires européens est l’argument majeur de l’augmentation de la durée du travail. Même cause, mêmes effets : les cheminots allemands seront en grève jeudi comme leurs collègues français. Et ce qu’on appelle ­ bien improprement d’ailleurs ­ l’autonomie des universités (il serait plus juste de parler de « concurrence des universités ») vient de mobiliser les étudiants grecs avant de mettre en émoi les jeunes Français. Deux autres exemples encore, d’une parfaite actualité : la commission de Bruxelles s’oppose, au nom de la libre concurrence, à une aide de l’État aux artisans pêcheurs victimes de la hausse du prix du fioul ; et l’obligation faite à la France d’ouvrir le marché des paris en ligne, véritable boîte de Pandore de blanchiment d’argent sale, de fraudes et d’addiction au jeu.

Bien entendu, ce n’est pas l’Europe en tant qu’espace géopolitique qui impose ces décisions. L’arnaque consiste à nous le faire croire. Le dépassement de la question nationale devrait être a priori une opération neutre qui laisse ouverts les choix politiques. Hélas, nous savons que ce changement d’échelle, dont on devrait se réjouir, a été mis à profit pour imposer un autre partage des richesses marqué principalement par l’affaiblissement, et parfois l’interdiction, des politiques publiques. Moins d’impôts, donc moins de services publics et moins d’instances de régulation et de redistribution. Tout cela n’a rien à voir avec l’Europe en soi. Mais il se trouve que la construction européenne est de plus en plus l’alibi d’une nouvelle répartition entre le capital et le travail, d’une exaltation de la libre concurrence et de son corollaire, la privatisation. C’est en grande partie parce qu’ils ont compris cela que les Français et les Néerlandais (les autres n’ont guère eu le loisir de s’exprimer) ont rejeté le traité constitutionnel en 2005. C’est parce que la question européenne détermine nos vies quotidiennes qu’ils ont massivement voté « non ». L’argument principal que nous avions à l’époque employé pour nous y opposer était celui de la démocratie : pas question de se laisser imposer un choix de société tout à fait partisan et infiniment discutable comme s’il s’agissait d’une donnée objective indiscutable. C’est le même argument que nous reprenons aujourd’hui. À cette différence près que, cette fois, nous ne sommes même pas invités à nous prononcer.

Cette régression démocratique va bien avec le personnage Sarkozy. Mais il y a, à propos de l’Europe, une autre arnaque qui, celle-là, est plutôt l’oeuvre de nos socialistes. Laquestion européenne serait pour ainsi dire sans rapport avec l’actualité sociale. Les dirigeants du PS se sont donné le mot pour marteler la même idée : on ne va tout de même pas se diviser sur l’Europe alors que nous avons mieux à faire par ailleurs à combattre la politique de Sarkozy. Ou, variante « royaliste » : nous n’avons pas de temps à perdre à discuter du traité européen alors que les Français attendent que l’on s’exprime sur leur pouvoir d’achat. Ou encore, version Guigou : Sarkozy est contre un référendum, or il a été élu par les Français, nous devons donc nous faire une raison. Superbe tautologie que l’on peut évidemment transposer sur le terrain social : Sarkozy veut la réforme des retraites, il a été élu par les Français… etc. D’ailleurs, selon Ségolène Royal, la grève ne serait pas digne d’un pays moderne. Mais qui donc est visé ? Sarkozy, qui l’a provoquée, ou les grévistes qui la font ? Le discours socialiste illustre notre propos. On ne peut guère soutenir efficacement le mouvement social si l’on acquiesce àun traité européen qui contient explicitement (ou par renvois à des traités antérieurs) les motifs de ses revendications. Voilà pourquoi il n’y a pas pour nous deux combats, l’un concret et immédiat, et l’autre vaguement idéologique. L’exigence d’un référendum va de pair avec une opposition à ces politiques néolibérales qui font, ces jours-ci, descendre tant de salariés dans la rue.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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