La claque

Bernard Langlois  • 20 mars 2008 abonné·es

On ne peut que se réjouir, en ce lundi 17 mars, de résultats électoraux qui constituent une vraie claque pour le pouvoir en général et le président plouf-plouf en particulier. Il était risible, au fur et à mesure que tombaient les bonnes nouvelles ­ Strasbourg, Reims, Quimper, Metz, Amiens, Saint-Étienne, Caen, Lille, Périgueux (Ah ! Périgueux), Toulouse (Oh ! Toulouse) ­, d’entendre les battus de service sur les plateaux s’accrocher à leur discours convenu à l’avance : pas une défaite, une « rectification » .

Messeigneurs, des rectifications comme ça, on en redemande. Et comme on aimerait aussi pouvoir rectifier les élections nationales !

Heureux habitant d’un département et d’une région où la gauche (enfin, le PS) est presque partout chez elle (enfin, chez lui), ce deuxième tour n’avait pour moi qu’un intérêt local anecdotique. Sauf sur un point : on attendait, on a vécu, le basculement annoncé de la Corrèze, ex-fief chiraquien, avec l’élection municipale de Brive qui voit un solfériniste (Nauche) l’emporter et le département tomber dans le rose tablier que lui tend avec une persévérance louable le Premier secrétaire bientôt sortant du PS.

François Hollande enfin président ! Du conseil général, hein ! En attendant mieux ?

BALAYAGE

Comme pour le reste je suppose qu’on vous détaille tout bien comme il faut, je me contenterai de deux ou trois réflexions très générales et de quelques cas particuliers. Balayage.

Pour le général :

­ L’importance de l’abstention, énorme, dans des élections pourtant de proximité censées intéresser les gens. Par définition, on ne peut savoir ce qui motive un abstentionniste : le désintérêt, sûrement, mais dû à quoi ? Parions que l’attrait de la pêche à la truite n’est pas le moteur premier. Le sentiment que le bulletin de vote ne sert à rien et que, quel que soit le résultat, rien ne changera dans le quotidien du populo est sûrement un puissant moteur de l’indifférence aux urnes (et ce n’est pas un hasard si les quartiers déshérités ont massivement fait défaut). Comme nous l’avons souligné naguère, la façon désinvolte dont la classe politique, dans son écrasante majorité, a fait le choix de s’asseoir sur le vote des Français dans le domaine européen n’est pas un incitateur puissant à remplir son « devoir électoral ». L’appel à un boycott-sanction a sûrement joué.

Pour la même raison (la ratification honteuse du traité de Lisbonne), l’extrême gauche, autour de la LCR (mais pas seulement), réalise des scores plus élevés que jamais : et un grand bravo notamment aux amis de Clermont-Ferrand. Quant au PCF, il résiste bien mieux que prévu, et c’est aussi un motif de réjouissance pour qui ne se résigne pas à la dérive sociale-libérale de la gauche institutionnelle (simplement, il conviendrait que tous ceux-là arrivent à s’entendre pour faire quelque chose de leurs voix, non ?).

Enfin, l’extrême confusion où nous baignons aujourd’hui, avec des listes de gauche qui intègrent le centre (passe encore…), voire carrément la droite, des maires socialistes sortants qui, comme à Pau, sont soutenus par l’UMP (pour barrer la route à Bayrou), ou autres incongruités que j’oublie, ce qui explique rétrospectivement comme fut facile le ralliement de certains hommes de gauche (ou prétendus tels) à Sarkozy : dans le grand sac à linge électoral, torchons et serviettes ne se distinguent plus guère.

Et pour le particulier :

Grand coup de chapeau d’abord à mon vieux copain (et quand je dis « vieux » : nous étions ensemble à la communale !) Gérard Caudron, dissident socialiste, longtemps maire de la ville nouvelle ch’ti de Villeneuve-d’Ascq, qui avait passé la main, et, constatant la dérive de son successeur, a décidé de la reprendre ! Cas unique, à ma connaissance. Faut croire qu’il avait laissé de bons souvenirs : il regagne « sa » mairie avec 30 points d’avance sur le maire sortant, et impose dans la foulée sa candidate à l’élection cantonale ! Carton plein pour Caudron (je vous incite, pour les détails, à aller faire un tour sur son blog) ^2.

Satisfaction aussi : Mellick battu à Béthune par un socialiste dissident (et c’est pas tant que j’en veux à ce chauffeur d’élite pour ses gros mensonges dans l’affaire Tapie ; c’est surtout que je me souviens, et vous aussi peut-être, de la façon indigne dont il avait traité, à l’époque, une de ses collaboratrices coupable d’avoir refusé de faire un faux témoignage).

Déception : Marseille, bien sûr (mais peut-être devra-t-on rejouer le match ?), Corbeil aussi (à deux doigts de virer Dassault), mais aussi Paris Ve : Lyne Cohen-Solal, qui se bat avec pugnacité et constance depuis des lustres dans cet arrondissement difficile, contre Tiberi, méritait bien d’être élue. On a cru un moment que c’était fait, mais non : Tiberi repasse, d’un cheveu. Il peut remercier Philippe Meyer, inlassable donneur de leçons citoyennes, dont le maintien permet cette prolongation de bail pour l’homme aux électeurs fantômes…

DOMINIQUE À MONTREUIL

Mais je voudrais m’étendre sur un autre cas de figure qui me touche particulièrement (et pas seulement comme ancien habitant de Montreuil). Il fut un temps où (les vieux lecteurs le savent bien) un succès électoral de Dominique Voynet m’aurait réjoui. C’était quand l’ancienne ministre de Jospin était une femme de gauche.

Politis avait appuyé son combat pour sortir les Verts, son parti, du ni-ni waechterien, et fait campagne à ses côtés pour refuser l’Europe libérale en votant « non » à Maastricht. J’avais, à titre personnel, soutenu sa campagne présidentielle de 1995 et m’étais réjoui de son élection aux législatives de 1997, suivie de sa nomination au ministère de l’Environnement dans le gouvernement de Lionel Jospin. J’approuvais en outre une pratique de la politique défendue par les Verts incluant la parité, ou le refus du parachutage (ces migrations électorales opportunistes, au mépris de tout ancrage local), ou encore celui du non-cumul des mandats.

Des principes, qui me paraissent de nature à assainir la vie politique, et que Voynet défendait hautement.

Et puis la sympathique militante idéaliste est devenue au fil des ans une politicienne comme les autres. Plus soucieuse de sa carrière personnelle que de la promotion de son courant politique, des idées et valeurs qu’il est censé défendre.

Elle porte une lourde responsabilité dans la quasi-disparition des Verts comme force autonome, alors même que s’imposent les grands thèmes qu’ils furent longtemps les seuls à porter : sous sa direction, le parti écologiste est devenu un pseudopode du PS, à l’instar de ces radicaux dits « de gauche », dont on conserve précieusement quelques spécimens dans des réserves du Sud-Ouest. Après le coup de tonnerre du 21 avril 2002 et la réélection de Chirac, sa défaite aux législatives qui suivent dans sa circonscription du Jura, où elle militait depuis toujours, la laisse sur le sable. Après un temps d’hésitations, Dominique décide de rester en politique : elle plante là électeurs et militants jurassiens pour négocier avec le PS un siège de sénatrice en… Seine-Saint-Denis.

Elle a déjà en tête l’étape suivante : elle se verrait bien dotée d’une mairie, la confortant dans son nouveau terreau électoral d’une banlieue encore dominée par le PCF, mais que guignent déjà ses copains du PS.

COADJUTRICE

Justement, la soixantaine approchant, Jean-Pierre Brard, maire de Montreuil depuis près d’un quart de siècle, lui-même autonome par rapport à Fabien (refondateur, il siège au Palais-Bourbon comme apparenté communiste), commence à songer à sa succession.

Il est bien placé pour juger de l’évolution de sa ville. Ce vieux bastion de la ceinture rouge (la ville de Duclos !) est en voie de boboïsation ­ de plus en plus de foyers parisiens de la moyenne bourgeoisie s’installent en proche banlieue, où les logements sont plus accessibles ; il est aussi devenu peu à peu une cité d’immigration africaine, la première ville malienne au monde après Bamako. Brard sait bien que la transmission ne sera pas aussi facile que dans le passé, quand tout se jouait « entre camarades » . Déjà, il s’est résolu à ouvrir large sa liste d’union, notamment aux Verts locaux, avec qui il entretient des rapports souvent tendus. C’est alors que se pose Dominique Voynet, avec qui il a partagé le combat contre Maastricht et dont il apprécie les qualités de battante. Et s’il faisait d’elle une adjointe, sa dauphine, une sorte de coadjutrice avec (donc) droit de succession ? Une pratique assez courante, à gauche comme à droite, qui consiste soit à passer la main en cours de mandat à qui en est jugé digne (lui-même fut ainsi intronisé, en 1984, par le vieux Marcel Dufriche), soit à lui céder la tête de liste, à l’échéance, en appelant à voter pour lui.

Tope-la ! Dominique s’installe donc à Montreuil et attend son jour. Qui ne saurait tarder.

UN BÉLIER

Et qui tarde pourtant : Brard, en pleine forme, n’est pas pressé et annonce qu’il se présentera en 2008 pour « un cinquième et dernier mandat » . Le viager, c’est toujours un pari !

Madame la sénatrice néo-montreuilloise ne l’entend pas de cette oreille. Elle s’avise alors que ce type est décidément un sale bonhomme, un vieux macho, un stalinien mal blanchi ; qu’il dirige sa ville en potentat, sans concertation ni partage ; que les habitants vivent courbés sous le joug et ne le réélisent à chaque échéance (municipale ou législative) que par l’effet d’une sorte de servitude volontaire dont elle va peu à peu se persuader qu’il lui appartient de les délivrer : elle candidate alors ( « se porte » , comme on dit encore dans nos campagnes) contre le sortant, appuyée par une partie de la section socialiste locale, désavouée par Solferino. La campagne fratricide sera saignante.

En tête au premier tour avec une avance de sept points, Brard est donc nettement battu au second, en l’absence d’une opposition de droite qui s’est d’évidence servie de Voynet comme bélier pour réussir là où elle avait toujours échoué : enfoncer les portes de la mairie.

À DROITE

Bien sûr, je charge un peu la mule : Brard n’est pas un petit saint ni un perdreau de l’année ; Voynet, pas seulement une arriviste.

Mais si j’ai choisi de m’étendre un peu sur le cas de Montreuil, c’est qu’il dit bien dans quel état de confusion nous sommes tous plongés : il y a encore vingt ans, Brard, communiste critique, engagé (avec Rigoud, Fiterman, Poperen…) dans la rénovation de son parti, et Voynet, jeunette dirigeante écolo (avec Cochet, Lipietz, Bennahmias…) secouant elle aussi le cocotier vert pour enfin tordre le cou à un environnementalisme sans principe, ces deux-là, avec toutes leurs différences de trajectoire et de culture (de « sensibilités », comme on dit) tiraient dans le même sens : celui d’un anticapitalisme affirmé et d’un altermondialisme naissant. Ils étaient du reste l’un et l’autre des amis et lecteurs fidèles de Politis . Je pense que Brard l’est resté ; il ne s’est en tout cas pas converti aux charmes du libéralisme bruxellois, a voté « non » au traité constitutionnel comme à sa version dite « simplifiée » adoptée à Lisbonne au mépris du peuple. À l’inverse de Voynet, désormais plutôt sur une ligne Philippe Val- Charlie Hebdo : écolo libertaire, européiste.

L’affrontement de ces deux têtes d’affiche ne relève donc pas à mon avis d’une saine concurrence entre deux gauches également respectables, et c’est la plus mauvaise nouvelle de ces élections municipales : même si ça ne se voit pas encore nettement, Montreuil est passée à droite.

Edito Bernard Langlois
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