Un mandat de shérif ?

Un nouveau décret autorise les maires à avoir accès
à un outil de fichage des élèves de primaire et de leurs parents, au nom de « la prévention de la délinquance ».

Claude-Marie Vadrot  • 13 mars 2008 abonné·es

La panoplie des maires désireux de se transformer en shérifs et de contrôler par fichage leurs administrés de tous âges vient de s’enrichir d’un décret publié discrètement au Journal officiel du 15 février. Un cadeau préélectoral pour lequel, avant le deuxième tour, les électeurs devront demander des comptes et des précisions, les élus de gauche étant parfois autant tentés que leurs collègues de droite d’accroître leurs « connaissances » des habitants d’une commune. Ce fichier préprintannier leur permettra de prendre des « mesures à caractère social ou éducatif dans le cadre des compétences qui leur sont conférées » . Découlant de la loi dite de « prévention de la délinquance », il vient compléter le dispositif qui, depuis 2002, et sous la direction vigilante d’un ministre de l’Intérieur devenu président de la République, a patiemment et plus ou moins clandestinement transformé les maires en auxiliaires de police et de la répression sociale. Notamment pour les populations les plus fragiles, les étrangers et les sans-papiers. Mais plus largement pour tout monde.

Comme l’ont expliqué voici quelques jours à Pau les enseignants et militants du Collectif 64 « Non à la base élèves », ce décret vient à point nommé autoriser les élus à utiliser le dispositif en cours de fichage systématique des élèves de primaire et de maternelle. Dispositif qu’un nombre grandissant d’associations, dont la Ligue des droits de l’homme, ne cesse de vouloir bloquer. C’est en 2004 que le ministère de l’Éducation nationale a ordonné la mise en place, dans chaque école, de cet instrument de fichage dont les données devraient être centralisées au niveau national d’ici à 2009, et partagées entre les écoles, la mairie et les administrations qui le souhaiteront. Dans cette « base » (d’où l’appellation « base élève »), figureront le suivi médical, le profil psychologique, les réussites ou échecs des enfants, leur situation familiale, le relevé de leurs absences et leurs habitudes alimentaires, et tout leur cursus scolaire.

Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, où la FSU, le Sgen-CFDT, le Mrap, la FCPE, RESF et la Ligue des droits de l’homme se sont battus victorieusement ­ et avec d’autres département ­ pour que certains éléments trop personnels ou sensibles soient retirés de la « base », un tiers des écoles a plus ou moins déjà alimenté ce fichier. Souvent sans que les parents soient avertis que les fiches qu’ils remplissaient au moment de l’inscription à l’école serviraient à alimenter un fichier plus large. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas bénéficié du moindre droit d’accès et de rectification prévu par les articles 39 et 40 de la loi Informatique et Libertés. Ce que les parents ignorent aussi souvent, c’est que, désormais, chaque enfant sera doté d’un numéro d’identification nationale. Lequel suivra un jour les enfants dans le secondaire, dans les lycées professionnels, dans les IUT et à l’université. De quoi organiser une discrimination permanente à partir du profilage de la scolarité et des attitudes établi par ce fichier.

Dernier cadeau de l’ex-ministre de l’Intérieur, avec l’accord du ministère de l’Éducation nationale et du ministère des Affaires sociales : depuis le 15 février, une nouvelle clause autorise les maires à avoir accès à ce fichier, notamment pour la partie concernant les absences scolaires, l’irrégularité de la scolarité et le suivi psychologique. Chaque élu aura ainsi accès, toujours au nom de « la prévention de la délinquance », à tous les détails sur le comportement des élèves et de leurs parents. D’après le décret, ce fichier s’appelle « Traitement automatisé relatif au recensement des enfants soumis à l’obligation scolaire et à l’amélioration du suivi de l’assiduité ». Derrière les nouvelles compétences qu’il offre aux maires, se cache surtout un nouvel instrument de surveillance du versement des aides sociales.

Au-delà du maire, l’autorisation de consulter ce fichier devrait s’étendre aux élus que l’édile désignera, aux agents communaux, au président du conseil général et à ses conseillers, aux agents de la caisse des écoles, à l’inspecteur d’académie ou à ses représentants… Beaucoup d’indiscrets potentiels.

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