Une crise de plus, une crise de trop!

Économiste, Jean-Marie Harribey* explique la démarche des auteurs
de la **pétition européenne** qui demande l’abrogation de l’article 56
du Traité de Lisbonne. Il s’agit avant tout, dit-il, d’un « acte politique ».

Jean-Marie Harribey  • 27 mars 2008
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Une crise de plus, une crise de trop!
© * Jean-Marie Harribey est professeur à Bordeaux IV, et coprésident d'Attac.

La crise financière confirme les analyses et les pronostics les plus pessimistes. C’est la plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale, dixit Alan Greenspan, ancien président de la FED ! Est-ce étonnant ? Elle est l’aboutissement de l’évolution du capitalisme vers sa logique la plus pure et en même temps la plus sauvage : rendre de la valeur aux actionnaires, finalité suprême de la libéralisation du mouvement des capitaux, de la déréglementation, de la prolifération des produits financiers, de la titrisation et de la dépolitisation des banques centrales pour mieux les faire servir les marchés financiers.

Illustration - Une crise de plus, une crise de trop!


Les unes accrochées aux grilles de la Bourse de Paris, au lendemain du krach boursier du 20 octobre 1987. NILSSON/AFP

La planète financière, dont la prétendue autonomie par rapport au système productif ne visait qu’à dissimuler l’extraordinaire retournement du partage de la richesse produite en faveur du capital, est ramenée sur terre. Pour s’être illusionné sur la montée infinie de l’immobilier et avoir cru soutenir une croissance économique, non par la hausse des salaires des pauvres, mais par la magie du crédit à taux variable qui leur était consenti, le système bancaire américain a plongé l’ensemble du système bancaire et financier mondial dans le gouffre, et peut-être l’économie elle-même, c’est-à-dire, au bout du compte, ceux qui vivent de leur travail.

Durant vingt-cinq ans, la courbe du chômage a suivi celle des dividendes. Le laminage de la protection sociale (assurance-maladie et retraites) a pour but de drainer une épargne plus abondante vers des marchés ayant soif de liquidités. Le délitement des droits sociaux et du droit du travail rend la main-d’oeuvre plus malléable car plus insécurisée. Le FMI l’avait déclaré : « La retraite par répartition crée trop de sécurité dans le corps social. » Les patronats n’ont plus qu’à pousser leur avantage : « travailler plus pour moins que rien ». La financiarisation de l’économie est donc la cause de la dégradation de la condition salariale et aussi sa conséquence, car il faut bien recycler tous ces profits distribués !

Nous disons : ça suffit. Stop à la spéculation, à l’asservissement des sociétés à la finance, à la marchandisation du monde, à la privatisation des profits et à la collectivisation des pertes. Nous proposons une pétition européenne ouverte à tous les citoyens, toutes les associations, tous les syndicats et tous les partis pour lesquels la notion d’intérêt général a encore un sens. Nous commençons par exiger l’abrogation de l’article 56 du traité de Lisbonne, qui interdit toute restriction aux mouvements des capitaux. C’est un acte politique à partir duquel nous voulons montrer que des solutions existent pour retrouver la maîtrise de l’avenir.

D’abord, remettre le système bancaire sous contrôle public, et notamment la Banque centrale européenne, au service de l’activité utile et de l’emploi, car on voit bien que les banques centrales voguent de Charybde en Scylla : ou bien elles restreignent le crédit pour juguler l’inflation et elles cassent l’économie ; ou bien elles le facilitent, et aussitôt les bulles repartent puisque les fonds spéculatifs empruntent pour jouer sur l’effet de levier et s’accaparer les fleurons de l’industrie. Ensuite, limiter drastiquement les revenus financiers par une fiscalité suffisamment élevée pour à la fois dissuader les actionnaires de renforcer en permanence l’exploitation du travail et leur enlever la majeure partie de leur pouvoir dans les entreprises.

Nous en sommes arrivés à un point où l’aggravation des inégalités n’a d’égale que l’arrogance des puissants, dont la seule conscience est celle de leur classe. Comme ils n’entendront pas spontanément raison, au vu de leurs déclarations lénifiantes sur la capacité des marchés à s’autoréguler, qui seraient presque risibles si elles n’étaient insultantes pour ceux qui pâtissent de leurs frasques, la seule voie possible est d’ordre politique : l’intervention des citoyens est désormais indispensable.

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