Liban : fin de crise

Denis Sieffert  • 29 mai 2008 abonné·es

La crise durait depuis dix-huit mois. Depuis dix-huit mois, le Liban était, nous disait-on, dans l’impossibilité d’élire un nouveau président par la faute de l’opposition pro-syrienne. L’affaire s’était aggravée le 24 novembre dernier lorsque le mandat du président Émile Lahoud, estampillé «pro-syrien» dans notre vade-mecum médiatique, est arrivé à son terme. Le pays a alors plongé dans un vide institutionnel comme il n’en avait encore jamais connu. Puis, comme par miracle, le ciel s’est soudain éclairci la semaine dernière à l’issue d’une conférence de cinq jours à Doha. Dimanche, Michel Sleimane, chef d’état-major de l’armée, et candidat depuis longtemps consensuel, a été élu président à une très confortable majorité. Vu de France, c’est à n’y rien comprendre. L’explication est pourtant simple, mais elle est politiquement inavouable : le Hezbollah a remporté une victoire complète, totale, absolue. Il a obtenu en quelques heures tout ce qu’on lui refusait depuis dix-huit mois : un droit de veto et une participation de onze ministres dans un gouvernement qui en compte trente. Il a surtout obtenu que la question de son désarmement ne figure pas à l’ordre du jour des accords de Doha. Le gouvernement de Fouad Siniora a en outre renoncé au démantèlement du réseau de télécommunication privé du parti chiite qui avait été à l’origine des affrontements sanglants de début mai. Pourquoi ce revirement ? L’histoire officielle nous disait pourtant que le blocage était du côté du Hezbollah et de son allié syrien, trop gourmands. On découvre aujourd’hui que l’on peut «débloquer» la situation sans contrarier le moins du monde le Hezbollah. Au contraire.

On découvre par là même que les causes du blocage étaient au moins autant du côté «pro-occidental». On découvre enfin que les demandes du Hezbollah n’étaient pas intempestives en regard de sa représentation communautaire et sociale — puisque c’est ainsi que l’on mesure l’influence politique au Liban. L’autre enseignement de cette sortie de crise n’est pas réjouissant. Pour cela, le Liban a dû en passer une fois de plus par la case violence. C’est par une démonstration de force que le parti d’Hassan Nasrallah a obtenu ce qui aurait pu lui être concédé par la politique. Comme le note fort justement Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris, «c’est paradoxalement cette violence qui a fait voler en éclats tous les facteurs de blocage». Mais alors, qui donc est responsable de ce long entêtement ? Hélas, les principaux protagonistes libanais «pro-occidentaux» de la crise ne sont pas les seuls coupables. En coulisses, les États-Unis s’agitaient pour obtenir, au terme d’une crise d’apparence intérieure, ce que l’armée israélienne n’avait pas obtenu sur le terrain pendant la guerre d’août 2006: l’affaiblissement du Hezbollah. C’est ce qui a échoué à Doha.

La crise libanaise s’achève par une défaite diplomatique des États-Unis. Il fallait voir ces jours-ci les efforts pitoyables de Washington pour nier l’évidence. Elle s’achève aussi par un effacement de la France. Rarement une «grande capitale» aura donné à ce point une image d’incohérence : rabibochage avec la Syrie, puis rupture décidée par Nicolas Sarkozy sans, manifestement, que son ministre des Affaires étrangères en soit informé. Pendant que la Syrie recueillait, elle, les compliments de la Ligue arabe…

Pour autant, faut-il se réjouir sans retenue ? La tension reste vive à Beyrouth, où un incident a eu lieu lundi entre sunnites et chiites. Par ailleurs, on ne peut imaginer que les États-Unis et Israël se résignent à cette issue. À terme, cela peut encourager Israël à une nouvelle offensive sur le Liban au prétexte de désarmement du Hezbollah. Une autre hypothèse, plus politique, serait que les pressions s’exercent à présent sur le nouveau président pour qu’il tente d’obtenir ce que le Premier ministre démissionnaire, Fouad Siniora, n’a pas obtenu. C’est au nom de «l’unité retrouvée» du Liban et de la nécessité de relégitimer l’armée que le désarmement du Hezbollah pourrait trouver place dans un discours d’apparat. D’autant plus qu’Israël tente de son côté d’isoler le puissant parti chiite en laissant entrevoir à la Syrie une restitution du plateau du Golan, occupé depuis 1967, en échange d’un renoncement de Damas à soutenir le Hezbollah et le Hamas palestinien. Le bras de fer n’est donc pas terminé, même si une accalmie s’annonce. Car, il faut le dire et le répéter, c’est le conflit israélo-palestinien qui est l’épicentre des crises de la région. Et il ne pourra y avoir de solution durable au Liban, incluant un désarmement du Hezbollah, sans une paix globale fondée sur la reconnaissance des droits historiques des Palestiniens.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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