L’appel des paysans mayas

Le groupe de paysans mayas « Justice pour Nueva Linda » a entamé une tournée européenne pour dénoncer l’impunité assassine des propriétaires terriens au Guatemala. Politis.fr les a rencontrés lors de leur passage à Paris, le 10 juin.

Politis.fr  et  Julie Azémar  • 13 juin 2008 abonné·es

Espagne, Autriche, Pays-Bas, Suisse, Belgique et ce soir Paris. Betty Reyes, Rodolfo Lopez et Mauro Voy sillonnent l’Europe pour se faire entendre. Représentants du groupe « Justice pour Nueva Linda », ils demandent ce qui leur est refusé au Guatemala : la justice.
Depuis le 10 mai, ces paysans mayas frappent à la porte des institutions et des organisations européennes (Commission des droits de l’homme, Nations unies, barreau de Paris, partis politiques…). À la suite de cinq années de lutte dans leur pays, ils ont décidé de porter leurs revendications sur la scène internationale. À l’origine de leur combat, le kidnapping, le 5 septembre 2003, d’Hector Reyes, employé de la finca (propriété agricole) Nueva Linda et membre du syndicat Mayas sans terre. Ce matin-là, Hector est réveillé par Victor Chinchilla Morales, agent de sécurité privé aux ordres du propriétaire Carlos Vidal, qui le somme de le suivre. Parti avec lui en voiture, Hector ne reviendra pas. Le véhicule, lui, a été retrouvé maculé de sang.



Vidéos : Julie Azémar

Les disparitions forcées ne sont pas prises en compte par la justice

Betty Reyes, sa fille, parle de « disparition forcée » , méthode pratiquée par les grands propriétaires terriens pour faire disparaître les leaders paysans et par là même, affaiblir les mouvements sociaux. Selon Amnesty international, « l’enlèvement est suivi de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue, la soustrayant à la protection de la loi » . Pratiquée en toute impunité, sous la demande ou avec l’aval de l’Etat, la disparition forcée est courante en Amérique latine. Pendant les années sombres du Guatemala, lors de la guerre civile (1960-1996), l’Onu en a recensées 45000.

Illustration - L’appel des paysans mayas


Collectif Guatemala

Mauro Voy, membre de la Codeca, un comité de développement paysan, affirme que « dans la majorité des cas, les familles des disparus se résignent et laissent tomber. Mais cette fois, les victimes ont porté plainte et se sont organisées pour en finir avec l’impunité » .

En octobre 2003, 800 familles occupent pacifiquement la finca. Le propriétaire, fort du soutien gouvernemental, les expulse le 30 août 2004. Le bilan n’est pas sans rappeler les massacres du conflit armé : neuf paysans meurent sous les balles de la police et des agents de sécurité.
Depuis, 250 familles vivent sur le bord de la route, en face de la finca Nueva Linda. Installés dans un camp de fortune, les paysans s’expliquent : « C’est la volonté qui nous fait survivre. Sans cette lutte, nous n’avons plus rien. »

L’accompagnement international épaule la lutte paysanne

Gregory Lassalle, accompagnateur international des familles pour le Collectif Guatemala, a tenu à révéler leur quotidien. Réalisateur du documentaire « Km. 207. Au bord de la route », il les a suivis pendant un an. Au siège d’Amnesty à Paris, il se souvient de l’avant-première : « On avait tendu un drap entre deux arbres pour leur diffuser le film. Il pleuvait, on avait branché le groupe électrogène qui faisait un bruit pas possible. Ils étaient tous là, fiers. »
Fierté et autodétermination. Ce double leitmotiv anime les paysans et les maintient dans la lutte. Pour ne pas oublier Hector Reyes et les camarades assassinés.

Face à une justice qui se borne à fermer les yeux et un gouvernement qui ne les entend pas, ils demandent de l’aide, matérielle, financière et judiciaire, à l’Europe. Grégory indique que « l’accompagnement international est mis en place car ils sont menacés physiquement par la sécurité privée de Carlos Vidal. Notre travail a un effet dissuasif. Nous les assistons dans leurs procédures mais nous sommes aussi des témoins, des relais d’informations sur la situation. » Le gouvernement ne reconnaît dans les faits ni le droit à l’autodétermination des Indiens ni celui de la terre. L’affaire Hector Réyes symbolise la négation généralisée de la justice Guatémaltèque pour les paysans indiens.

Des paysans sans terre

Cet état de fait résulte de l’exclusion historique des Indiens, majoritaires en nombre. Les données du rapporteur spécial de l’Onu sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, mettent en exergue les antagonismes chroniques du pays : « Le Guatémala demeure un des pays du monde où la répartition des ressources est la plus inégale et où la concentration des terres et des richesses est extrême. Les peuples autochtones n’ont pas de terres et ne jouissent d’aucun droit reconnus aux travailleurs. Ils font l’objet d’une discrimination raciale omniprésente » .

Des chiffres criants sur la misère de ce peuple : 2 % de la population détient 75 % des terres agricoles, réparties en d’immenses exploitations dont les récoltes sont destinées à l’exportation. L’agro-business décime les petites exploitations. 90 % d’entre elles n’excèdent pas un hectare. Pour Jean Ziegler, le système, reliquat colonial, est féodal : « Les propriétaires donnent de la nourriture en échange du travail mais pas nécessairement de l’argent. » Le patron d’Hector Reyes lui devait dix ans de salaire. Probablement une des causes de son enlèvement. Betty Réyes sait qu’ « Hector avait acheté une terre car il voulait partir. Avant de disparaître, il avait demandé à Carlos Vidal son salaire. » Paysan maya, Hector possédait tous les attributs de la personne à abattre. Il était, ou il est encore, un leader intègre réclamant le droit à sa terre et le choix de ses moyens de subsistance.

http://collectif-guatemala.chez-alice.fr/

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