Outrage à outrance

Députés et libraires s’apprêtent à recevoir un ovni libertaire qui en appelle à la dépénalisation du délit d’outrage. Un des auteurs, Jean-Jacques Reboux, mène campagne au Palais de justice.

Politis.fr  et  Julie Azémar  • 18 juin 2008 abonné·es

C’est au tribunal de grande instance de Paris que Jean-Jacques Reboux assure seul, ce lundi 16 juin, la promotion de son pamphlet, co-écrit avec Romain Dunand, la Lettre au garde des Sceaux pour une dépénalisation du délit d’outrage. De son sac à dos, il pioche des exemplaires et les distribue patiemment aux journalistes. Ils sont venus en nombre pour assister à la comparution de Maria Vuillet, accusée d’outrage au sous-préfet d’Ile de France, Frédéric Lacave. L’affaire remonte au lundi 22 octobre 2007, lorsque des lycéens protestent contre l’ultime trouvaille du président de la République : la lecture de la lettre de Guy Môcquet. Le procès sera finalement ajourné (voir encadré et vidéo).



Vidéos : Julie Azémar

Avec les membres du collectif Rose et Roseda, dont la fille de Maria, le cortège se rend du lycée Carnot à la station de métro Guy Môcquet. Sur les lieux pour une commémoration, le sous-préfet, perturbé par les sifflets qu’il inspire à la foule, met en garde Maria. Elle doit comprendre qu’ « il représente la République. » L’assistante sociale acquiesce mais nuance ses propos par un « oui, mais pas la République que voulait Guy Môcquet. » Cette mise au point aura de lourdes conséquences. Maria est désormais accusée d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique pour avoir traité Frédéric Lacave de « facho » , ce qu’elle nie depuis son arrestation musclée et sa garde à vue. À l’orée du procès, Maria n’a pas oublié cette douloureuse matinée : « Les policiers m’ont dit que pour moi, l’étrangère, ce serait l’expulsion. J’ai été menotté avec une violence extrême. »

« Nous sommes les exemples vivants d’un régime dur et autoritaire »

Dans le hall de la 28e chambre correctionnelle du Palais de justice, Jean-Jacques Reboux n’est pas présent pour la seule promotion de son ouvrage. L’écrivain et éditeur soutient Maria « car c’est moralement très dur de comparaître, même lorsqu’on est dans son droit » . Jean-Jacques connaît le sujet. Il est convoqué le 27 juin prochain pour la même infraction. « Maria et moi, nous sommes les exemples vivants d’un régime dur et autoritaire dans lequel nous vivons » , explique-t-il.

Le 24 juillet 2006, Jean-Jacques roule le coeur léger sur l’avenue de Clichy au volant de son « épave, il faut bien le dire » . Demain, il sera loin de la capitale. Il se sent déjà en vacances. Lorsqu’il se fait arrêter par la police, il ne s’inquiète pas. Il sait que ses papiers sont en règle. Ce qui aurait dû rester un banal contrôle routier se transforme vite en altercation : « L’agent m’a collé une contravention pour obstruction à la circulation. Il soutenait que j’avais empêché le véhicule des pompiers de passer. J’ai contesté et lui ai rétorqué qu’il voulait faire du chiffre. La situation a dégénéré. Un des policiers soutient que je l’ai traité de connard mais en fait j’ai dit canard » , glisse-t-il ironiquement.

Jean-Jacques a droit aux renforts policiers. Ils sont trois à le menotter serré, aux poignets et aux chevilles. Au commissariat, il avoue l’outrage pour éviter une nuit en cellule. Dès le lendemain, il commence la rédaction de sa Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, ministre des libertés policières, démarche cathartique qui lui permet d’extérioriser sa frustration. Dans ce premier opus, l’écrivain de polars raconte son arrestation, l’arbitraire des décisions policières, les privations de libertés et le combat qu’il mène. Il dépose une plainte pour abus de pouvoir et violences, classée sans suite…

Des condamnations de plus en plus fréquentes

Pour autant, Jean-Jacques ne s’écrase pas. Il persiste et re-signe avec Romain Dunan une lettre, éditée en un court ouvrage à paraître le 20 juin. Militant RESF, Romain Dunan a été condamné le 14 février dernier à 800 euros d’amende et un euro de dommages et intérêts à…Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, pour avoir comparé sa politique à celle de Vichy. Ensemble, les auteurs décortiquent en une cinquantaine de pages le caractère despotique du délit d’outrage, « devenu une source d’injustices, dont les victimes sont le plus souvent des citoyens transformés en délinquants par le seul fait d’un arbitraire policier.» Statistiques à l’appui, ils dénoncent la flambée incontrôlée des condamnations, en augmentation de 42 % entre 1991 et 2005. Une tendance qui se poursuit.

Au-delà des chiffres, c’est la mécanique irrationnelle du délit d’outrage qui est mise à nu. La constatation de l’infraction, réalisée par le policier devenu victime, ne garantit évidemment pas l’impartialité : « L’interprétation de la notion d’outrage est très vaste, un simple regard jugé « narquois », une expression du visage, un geste qui « exprime le dédain ou le mépris » peuvent suffire. » L’agent peut ensuite se porter partie civile et réclamer des dommages et intérêts.

Dans leur cartographie du délit d’outrage, les auteurs citent l’étude du sociologue Fabien Jobard, Quand les policiers vont au tribunal. Il a analysé les jugements rendus dans un TGI parisien en matière d’infraction à personnes dépositaires de l’autorité publique. Les personnes interrogées s’indignent contre la spécificité de cette infraction qui « vise les leaders de la protestation, en vue de briser la dynamique de mobilisation et contrebalance d’éventuelles plaintes de la part des auteurs supposés des outrages pour violences illégitimes commises par les policiers. » Le livre, envoyé en exclusivité à sa destinataire, Rachida Dati, démontre que le recours au délit d’outrage, loin d’être rare, est en passe de se généraliser. Vous serez peut-être les prochains sur le banc des accusés.

Temps de lecture : 5 minutes