De l’ultra-gauche

Bernard Langlois  • 27 novembre 2008 abonné·es

« – Dis-moi, p’pa, c’est quoi l’ultra-gauche ?
– Demande donc à ta mère !
– Mam, l’ultra-gauche, c’est quoi, dis ?
– Des gens dangereux, petit électeur, des terroristes qu’il convient de mettre hors d’état de nuire avant de les laisser devenir vraiment nuisibles. Tu vas au ciné, des fois ? Va donc voir ces films récents :
Mesrine, ou l a Bande à Baader, c’est du même tonneau, l’ultra-gauche. Du gibier de potence qui ne mérite ni égard ni sollicitude. Et qu’ils s’estiment heureux de vivre dans un État de droit où ils disposent des garanties d’une justice, un brin laxiste à mon goût, mais bon ! Je suis une femme d’ordre, et pas celui des avocats… »
C’est vrai qu’on ne devient pas ministre de l’Intérieur après l’avoir été de la Défense sans quelques dispositions…

À cette définition de Mme Alliot-Marie – à quelque chose près, on caricature à peine [^2] –, on peut préférer celle qui suit : « L’ultra-gauche fait référence à une vision “ouvriériste” de la politique et de l’engagement. Si son vocabulaire et ses références critiques sont clairs, son projet de société ne l’est pas et sa base (tant matérielle que métaphysique) non plus. Quand la gauche représentait la monarchie constitutionnelle, l’“ultra-gauche” était jacobine. Quand la gauche défendait le suffrage censitaire, l’“ultra-gauche” prônait le suffrage universel. Quand la gauche s’abouchait avec Keynes, l’“ultra-gauche” rêvait d’autogestion… »
Je la trouve plus aimable, cette définition, qui, en fait, décrit l’utopie, l’idéal, et se rapporte à cette minorité éternelle, cette marge (ces « marginaux ») qui seule fait bouger les lignes de nos sociétés ankylosées dans leur conformisme raisonnable.

Nous avons besoin des marges pour évoluer, quand bien même elles nous dérangent ; de ces gens dont on dit (après coup…) : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, ils l’ont fait [^3]. »

L’IRE DES CHÊNAIES

C’est dans le petit hebdo de Longo maï (finement intitulé L’Ire des chênaies, sous-titre : radio Zinzine info ) que j’ai trouvé cette réflexion sur l’ultra-gauche à propos de cette ténébreuse affaire de Tarnac.
Ténébreuse et scandaleuse, puisque le vide du dossier des prétendus terroristes embastillés après une descente de police à grand spectacle, traumatisante pour tous ceux qui l’ont vécue, paraît bien signer l’opération de diversion (quand le pays s’enfonce dans la crise, focaliser l’attention sur des questions d’ordre public relève sans doute de l’art de gouverner…) et surtout d’intimidation à l’adresse de tous ceux qui contestent l’ordre établi, fût-ce pacifiquement, fût-ce intellectuellement. Le philosophe italien Giorgio Agamben n’hésite pas à écrire : « Il faut avoir le courage de dire avec clarté qu’aujourd’hui, dans de nombreux pays européens (en particulier en France et en Italie), on a introduit des lois et des mesures de police qu’on aurait autrefois jugées barbares et antidémocratiques et qui n’ont rien à envier à celles qui étaient en vigueur en Italie pendant le fascisme [^4]. » En sommes-nous déjà là ? À l’heure où je pianote ce bloc-notes, j’apprends la lourde condamnation pénale de l’association Droit au logement pour encombrement de la voie publique ! À quand la destruction des stocks des Restos du cœur et l’arrestation de leurs responsables pour concurrence déloyale au commerce alimentaire ?
Il devient urgent de mobiliser pour la défense des libertés élémentaires, à commencer par celles de vivre hors des sentiers battus [^5].

VIVRE AUTREMENT

Car ce n’est pas par hasard que je rapproche, dans cette chronique, le petit groupe communautaire de la ferme du Goutailloux (Corrèze) de la belle et grande communauté de Longo maï (Alpes-de-Haute-Provence, et bien d’autres endroits aujourd’hui, partout en Europe et dans le monde), qui fait un peu figure d’ancêtre et d’exemple.
Eux aussi, les fondateurs (Français, Suisses, Autrichiens, Allemands…) étaient des jeunes gens politisés, en révolte contre la société des années 1960 et en recherche de nouvelles formes de vie et de lutte quand ils ont installé, en 1973, leur « village pionnier » sur des terres en friches proches de Forcalquier ; eux aussi ont trouvé sur leur chemin (outre ce révolté quasi-professionnel, insoumis de la guerre d’Algérie, Rémi, leur aîné et leur guide, originaire de Provence, mort en 1993) des hommes ouverts et accueillants qui les ont aidés dans leurs débuts et toujours accompagnés ensuite (comme Pierre Pellegrin, un paysan proche de Giono, qui vient tout juste de mourir aussi) ; eux aussi avaient en tête de « vivre autrement » , hors des rapports marchands, sans pour cela rester à se regarder le nombril, sans cesser de s’intéresser au vaste monde et d’y intervenir ; eux aussi eurent à faire face aux provocations de l’extrême droite, aux accusations sans fondement (une secte, prétendit-on) et à la paranoïa policière (le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Marcellin de triste mémoire, tenta en vain de les détruire) : ils sont toujours là, debout, actifs, créatifs, et font honneur au nom qu’ils se sont choisi : Longo maï, en provençal, veut dire « que ça dure longtemps » . Et je vous renvoie à leurs nombreuses publications, brochures, journaux, à leurs émissions de ** et au petit livre de l’une d’eux, Beatriz Graf, alias Trixie, Brésilienne d’origine qui participe à l’aventure depuis le début (elle est aujourd’hui une grand-mère épanouie, ça ne nous rajeunit pas, trois générations déjà !) et qui en raconte la belle histoire [^6].

On souhaite à ceux de Millevaches – Julien, Yldune, Matthieu, Gabrielle et les autres – la même résistance, le même rayonnement, la même longévité.

MOULES-FRITES OU CHABICHOU ?

Quoi d’autre ? Ah oui, bien sûr, le PS.
Je ne sais pas encore qui sera capitaine de cette nef des fous. La reine des moules-frites ou la princesse du chabichou ? Perso, ça m’est égal. Encore que le TSS (tout sauf Ségolène) a pris de tels accents de rage que ça me donne plutôt envie de la voir gagner. D’ailleurs, elle a gagné, même si c’est la Martine qu’on installe sur le pavois : résister à une telle mobilisation antagoniste et faire jeu égal dans un rapport arithmétique aussi défavorable sur le papier, c’est déjà une victoire qui ne sera pas sans lendemain. Sont fous, ceux du vieux parti, de ne pas s’en rendre compte et de se refuser à en tirer les conséquences…
Seule certitude (outre celle, pour moi déjà actée, de la mort du Parti soi-disant socialiste) : les femmes, en politique, sont des hommes comme les autres !

RE-MARIAGE

Épilogue dans l’affaire du mariage annulé par le tribunal de Lille le 1er avril dernier : c’était bien un gag, et la cour d’appel de Douai a mis un terme à la plaisanterie. Mais je laisse en dire un mot à mon excellent confrère et ami Fontenelle, dont la concise vacherie m’enchante :
« Je pense que tu en conviendras : c’est une merveilleuse nouvelle, en même temps qu’une victoire (évidemment) décisive sur l’obscurantisme des mahométans fanatisés, que l’annulation de l’annulation du mariage où l’époux s’enrageait du “mensonge de l’épouse sur sa virginité”. On imagine (sans trop de peine) la vive joie de la jeune femme (“une étudiante de vingt ans”) qui ce soir se trouve remariée à un authentique progressiste – et quant à moi je ne doute pas qu’elle rendra mille et mille grâces aux républicain(e)s de conviction qui ont œuvré à cette émouvante happy end. »
C’est sur son blog de Bakchich.

MALAISES

Deux livres enfin, en deux mots, qui parlent de malaise : dans l’école, dans l’enseignement, dans notre rapport à la science :
– Le Philosophe au pied du mur (ou l’apprentissage de la démocratie) alerte, devant la disparition programmée de l’enseignement de la philosophie, sur le double déclin du débat public et de l’esprit critique (et cela n’est pas sans rapport avec le corps de cette chronique, ni que l’auteur, après avoir enseigné dix ans la philo, se soit fait maçon : vivre autrement !). « Renversons la tendance, suggère notre homme, et faisons de la philosophie le socle de l’enseignement. » Tu parles, Charles [^7] !
– Galilée et les Indiens : malaise dans la cité scientifique, voici que les pékins que nous sommes contestent les savants, au nom des périls que courent la planète et l’espèce. L’auteur, plus fin qu’un vulgaire scientiste, ne nie pas les problèmes et les risques énoncés par les « ça-va-pétistes » (je me sens visé…) et autres décroissants ; mais il refuse de « jeter le bébé scientifique avec l’eau du bain écologique ».
C’est fort bien écrit, ce qui ne gâte rien [^8].

[^2]: « L’anticipation est essentielle dans la lutte contre le crime en général et le terrorisme en particulier. Elle est la meilleure des protections », Michèle Alliot-Marie, Le Figaro du 1er février 2008. Comme dirait George Dubbleyou, vive la guerre préventive !

[^3]: Au fait, quelque lecteur peut-il m’éclairer sur l’origine de cette citation ?

[^4]: Libération du 19 novembre.

[^5]: Comité de soutien : [](www. soutien11novembre.org) et pétition : http://ultragauche.wordpress.com.

[^6]: Radio Zinzine Info, 04300 Limans, , et Longo maï, Révolte et utopie après 1968, vie et autogestion dans les coopératives européennes, Beatriz Graf, Thesis ars historica, 176 p. Écrire à : trixiegraf@yahoo.fr.

[^7]: Charles Roux, Bourin, 188 p., 14 euros.

[^8]: Étienne Klein, Flammarion, Café Voltaire, 120 p., 12 euros

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 8 minutes